Située sur le trajet des ouragans dans le bassin des Caraïbes, Haïti est souvent frappée par des tempêtes destructrices qui entraînent des pertes substantielles en vies humaines et en biens. Cette vulnérabilité due à sa géographie est exacerbée par sa déforestation avancée et sa sensibilité aux changements climatiques. Classée comme l’une des dix (10) zones mondiales à risque de changements climatiques, Haïti ne possède que 2% de couverture forestière. Cette dégradation environnementale conduit à une érosion aiguë des sols, à des inondations fréquentes et graves et à des coulées de boue qui touchent de manière disproportionnée, les plus vulnérables, y compris les agriculteurs appauvris dans les zones rurales.
Au cours des trois dernières décennies, les ouragans de l’Atlantique se sont intensifiés considérablement, en raison de la hausse des températures océaniques, causées par les changements climatiques. En 2008 par exemple, Haïti a été frappée par quatre ouragans qui ont dévasté près des trois quarts de ses terres agricoles. De 2002 à 2007, il y a eu quatre inondations paralysantes qui ont également dévasté les zones rurales et le secteur agricole. De plus, le pays a fait face à de nombreuses sécheresses pluriannuelles, entraînant une insécurité alimentaire. Plus récemment, le 4 octobre 2016, l’ouragan Matthew a frappé le grenier d’Haïti – la péninsule sud essentiellement rurale – avec des vents de 220 km/h, selon Agence France Presse (AFP), causant des dommages estimés à 580 millions de dollars au secteur agricole. Cette année, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis prévoit une probabilité de 55-60% que La Niña se produise, ce qui augmente les chances qu’un autre ouragan frappe Haïti. Ces prévisions pourraient avoir des conséquences désastreuses sur le secteur agricole et la sécurité alimentaire du pays. Est-ce-qu’ Haïti est prête ?
À la suite de la quasi-absence du gouvernement haïtien de la scène publique, après le séisme de 2010, des efforts ont été déployés par des acteurs clés (le gouvernement haïtien, les pays donateurs et l’ONU) pour renforcer le système de préparation et d’intervention, en cas de catastrophe. Selon l’Évaluation en Temps Réel (RTE) de l’Ouragan Matthew- un rapport indépendant commandé par un groupe de donateurs à Haïti – , le pays avait mis en place un certain nombre de mesures de préparation efficaces avant le passage de l’ouragan, y compris les alertes, le pré-positionnement des stocks, la formation et les plans d’urgence qui ont porté leurs fruits. Le gouvernement haïtien, en particulier le Ministère de l’Intérieur et le Bureau de la Protection Civile (DPC) chargés de coordonner la réponse aux désastres pour le pays, ont clairement indiqué qu’ils dirigeraient et ont effectivement pris les rênes dès le début. Le Centre National des Opérations d’urgence (COUN) a été activé et des instructions ont été fournies aux Centres d’Urgence Départementaux et Communaux (COUD et COUC). Il y a eu une mobilisation rapide des acteurs internationaux ainsi que des ONG nationales, permettant le pré-positionnement des ressources en personnel et des articles de secours, avant le passage de l’ouragan.
En outre, les ONG internationales ont coopéré davantage entre elles, avec les organisations locales et avec le gouvernement. Par exemple, il y a eu un certain nombre de collaborations prometteuses, notamment une campagne de vaccination contre le choléra entre l’ONU et les ONG, mais menée par le gouvernement haïtien ainsi qu’un programme de transferts de fonds mis en place entre l’USAID, CARE et d’autres ONG. De plus, les ONG locales ont eu du succès sur le terrain. Grâce à leur connaissance intime du milieu et à leur personnel mis en place au préalable dans les zones touchées, elles ont été en mesure de fournir les premiers secours, parfois à cheval, là où les ONG internationales ne pouvaient arriver.
Toujours est-il qu’il reste encore beaucoup à faire au niveau de la systématisation des préparatifs et de la réponse aux catastrophes en Haïti, particulièrement dans les zones rurales, essentielles à la protection du secteur agricole et de la sécurité alimentaire. D’après les entrevues menées dans les régions durement touchées par Matthew, avec des cadres des mairies, de la DPC et du COUC, ils ont utilisé toutes les ressources disponibles pour avertir officiellement les zones rurales avant la tempête, mais seulement les sections communales les plus proches des villes ont été atteintes.
Certains agriculteurs ont déclaré avoir entendu des avertissements à la radio, deux jours avant l’arrivée de l’ouragan. Selon ces avertissements, ils devraient s’abriter dans les écoles et stocker de la nourriture et de l’eau. Au fait, des écoles locales sont tenues chez des enseignants dans des maisons pas plus fiables que les leurs. De plus, il n’y avait pas de nourriture ou d’eau disponible pour le stockage. Ils ne savaient pas non plus à quoi s’attendre, vu que des tempêtes sont souvent annoncées sans que rien ne se produise. Selon eux, les avertissements dans les zones rurales, éloignées des villes, provenaient en majorité du « teledyòl » peu fiable. Ils ne faisaient pas non plus confiance aux avertissements du gouvernement et ne voulaient pas quitter leur maison, par crainte de perdre leur terre.
En outre, le secteur alimentaire a été peu coordonné au niveau communal. La Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) du Ministère de l’Agriculture, chargée de l’organisation de ce secteur, a peu ou pas de représentation au niveau communal. En conséquence, six à sept semaines après le passage de Matthew, des parties importantes des zones très touchées n’avaient toujours pas reçu de nourriture. Les kits d’urgence et l’eau ont été distribués principalement à ceux qui étaient bien branchés politiquement, alors que ceux qui vivaient dans les sections communales les plus durement touchées par l’ouragan, n’étaient même pas au courant qu’une aide leur était disponible. En fait, de larges segments de la population touchée n’ont reçu aucune information sur la réponse post-Matthew. Ils se sont appuyés principalement sur les réseaux familiaux et d’autres formes de solidarité locales pour répondre à leurs besoins les plus élémentaires.
D’autre part, le secteur des abris a largement échoué. Plus de 90% des maisons dans les zones les plus touchées par l’ouragan ont été détruites. Alors que le gouvernement a signalé plus de 1 300 abris temporaires à l’échelle nationale, l’enquête et les données révèlent que la plupart étaient en très mauvais état. Les gens ont reçu très peu d’abris d’urgence et d’aide financière pour reconstruire leurs maisons, bien que les agriculteurs n’aient aucun accès à l’assurance pour leurs propriétés. Il y avait également des contraintes logistiques, car très peu d’entrepôts étaient disponibles pour stocker les articles de secours, dont des abris d’urgence, dans les zones touchées.
Enfin, alors qu’il y avait plus de coopération entre les ONG pendant l’ouragan par rapport au tremblement de terre de 2010, elles fonctionnaient encore dans des silos sectoriels plutôt que d’utiliser une approche holistique intégrée, combinant plusieurs services pour répondre aux besoins les plus urgents des populations. De plus, bien que les preuves montrent que les approches communautaires ancrées dans les contextes locaux et impliquant profondément la population locale sont plus efficaces dans la gestion des catastrophes que les systèmes moins démocratiques, ce modèle n’est pas évident dans le système en place en Haïti.
Compte tenu de l’extrême vulnérabilité d’Haïti aux tempêtes destructrices, il est impératif que son système de préparation et d’intervention, en cas de catastrophe, réponde aux besoins spécifiques des communautés rurales, afin de protéger les vies ainsi que le secteur agricole et la sécurité alimentaire du pays. Pour y parvenir, le gouvernement devrait s’appuyer sur les progrès réalisés depuis le tremblement de terre de 2010, pour développer et piloter un modèle intégrant davantage les communes et sections communales dans le système actuel, avec la pleine participation de la communauté. Des représentants nationaux et locaux du gouvernement, des ONG locales et internationales, des associations communautaires/paysannes, des leaders locaux de confiance, le secteur religieux et le monde des affaires devraient travailler ensemble pour développer et piloter un modèle rural incluant les éléments qui suivent: un système d’alerte que la communauté comprend et approuve; l’accès à des abris d’urgence adéquats, construits pour résister aux tempêtes de catégorie cinq; des installations de stockage pour entreposer les articles de secours; une approche intégrée combinant plusieurs secteurs pour répondre aux besoins les plus urgents de la population; un plan cartographique communal détaillé, décrivant tous les atouts, humains ou matériels, y compris les données sur les ménages, avec des informations démographiques et économiques pour aider les secouristes à être plus efficaces en cas d’urgence; et une campagne d’éducation publique pour informer tout le monde sur le système / plan.
En outre, le modèle devrait également inclure l’assurance indicielle pour les agriculteurs, afin d’assurer leurs fermes et leurs propriétés contre les phénomènes météorologiques extrêmes. L’assurance indicielle est un type de gestion du risque météorologique qui a été récemment mis au point et utilisé avec succès dans certains pays d’Afrique, en tant qu’outil de réduction des risques météorologiques dans l’agriculture. La plupart des types d’assurance agricole rembourse en fonction des pertes individuelles ou des pertes au niveau des plantations et du bétail. Dans les pays comme Haïti où les petits agriculteurs sont répandus, mesurer ces pertes individuelles impliquerait des coûts énormes pour les compagnies d’assurance. En conséquence, les primes sur ces types de marchés d’assurance ont tendance à être très élevées et inabordables pour les petits exploitants. L’assurance indicielle offre une alternative dans laquelle une évaluation individuelle n’est pas nécessaire. Les paiements sont basés au contraire sur un «indice» de valeurs relatives aux variables météorologiques connues pour leur impact sur la productivité agricole. Cet indice évite le besoin d’évaluations individuelles et réduit ainsi les coûts d’assurance. En cas de succès, ce modèle pourrait être étendu à d’autres communes et sections communales à l’échelle nationale.
Pour conclure, Haïti devrait s’attaquer à sa déforestation, de manière durable, en utilisant des méthodes telles que l’agroforesterie, qui fournissent une incitation économique aux agriculteurs à maintenir la couverture forestière, ce qui aiderait à atténuer les effets du changement climatique. Le gouvernement devrait aussi continuer à améliorer l’infrastructure routière pour rendre les interventions de secours plus efficaces. Enfin, Haïti devrait adopter une loi nationale pour la gestion des catastrophes, incluant un cadre qui codifie les rôles et les responsabilités des différents ministères. La loi devrait aussi inclure une disposition qui facilite l’investissement nécessaire pour doter le pays d’un système de gestion des catastrophes approprié, qui répond aux besoins et aux attentes de toute la population.
Sandra Jean-Louis, MPA
Mme Jean-Louis est diplômée de l’Université de New York (NYU) Wagner School, avec une maîtrise en politique et en gestion. Avec plus de 20 ans d’expérience professionnelle, elle facilite les collaborations à impact dans les domaines de l’équité en santé et de la sécurité alimentaire, entre les communautés, le gouvernement et le secteur privé.