Le sujet d’aujourd’hui nous conduit au chevet d’un citoyen très peu ordinaire. Il est en relation directe avec la dernière « prouesse » du Président de la République, S.E.M Jovenel Moïse, au kiosque Occide Jeanty, au Champs-de-Mars, la semaine dernière, dans le cadre des efforts de revitalisation socioculturelle de la Capitale, peu après l’installation de Guyler C. Delva comme ministre de la Culture et de la Communication. Comme disait l’autre, on cherche le bien sans le trouver et on trouve le mal sans le chercher, car cette initiative s’est révélée attentatoire à la pudeur et à la morale. Toujours est-il que nous sombrons, chaque jour davantage, dans une situation de déliquescence et de crise généralisée. Le spectacle d’une fillette, selon les dire de son père, d’environ six (6) ans d’âge, ne saurait rester sans interpeller le bon sens et la décence, à moins qu’il ne nous reste plus aucune appétence pour nos acquis séculaires, en termes de référentiels de valeur morale ayant toujours guidé nos comportements, même dans les plus bas ou triviaux cercles de notre société. Plus que pathétique, le spectacle que le Président a offert à sa nation et à la face du monde, était tragique, vu la profondeur de son indécence.
« Nous avons un pays étrange et merveilleux. Un pays si merveilleusement étrange qu’il ne se résigne pas encore à mourir, malgré que sans pitié, sans pudeur, les jouisseurs éternels aient sucé et pompé son sang généreux. Nous vivons vraiment sous un ciel d’étrangeté et de miracle.» C’était le constat de Franck Fouché, un écrivain ayisyen des années 1900, bien que pris dans un autre contexte, près de 100 ans après. Absolument rien n’a changé. Le Premier citoyen de la République, sous le coup de son émerveillement béat devant l’art suprême de déhanchement et d’agilité des tours de reins d’une fillette en bas âge, ne put s’empêcher de la gratifier d’une voiture, comme un geste de support inconditionnel pour la quête d’excellence dans ce si particulier domaine de compétence qu’est le « twerk dancing », car c’est bien de cela qu’il s’agissait. Il paraît que la République en a grand besoin pour son salut et sa distinction dans le concert des Nations. Soit dit en passant, le « twerk », une danse sensuelle, avec tout cela implique, est défini comme le fait de « danser sur de la musique populaire de manière osée et provocante, en faisant des mouvements de hanches et en s’accroupissant ». Le dictionnaire en ligne « Reverso » définit le Twerk de la manière suivante : « danse suggérant l’acte sexuel ». « Really Mr. President ?» Était-ce vraiment un art indiqué pour une fille d’âge mineur ? Sans vouloir vous offenser, permettez-moi les interrogations suivantes. Qu’est-ce qu’il y avait de si remarquable et particulier dans cette danse exécutée par une fillette pour susciter tellement de fascination chez le Premier citoyen et l’homme le plus puissant du pays, et mériter une telle récompense ? Quel est le véritable mobile d’une telle générosité ? N’y-avait-il que cela à offrir à la fillette, s’il s’agissait bien de la récompenser pour sa performance inappropriée et déplacée, pour un enfant de son âge ? Ne pouvait-on pas prendre désormais en charge son éducation dans l’une des meilleures écoles du pays, tout en encadrant sa formation dans un domaine de la danse plus approprié, par l’octroi d’une bourse d’étude, dans le pays ou à l’étranger ? Comment une fillette de moins de 10 ans va-t-elle jouir pleinement d’un tel trophée ? De grâce, faisons preuve d’un peu plus d’intelligence et de bon sens !
On ne peut plus continuer à faire profil bas à tout bout de champ ! Certes, la capacité de ce gouvernement de saluer les moindres caricatures de succès dont quelques rares concitoyens et concitoyennes font preuve ces derniers temps, ici ou ailleurs, est grandement apprécié, surtout par les bénéficiaires directs. Entre temps, les dernières performances de nos sélections nationales féminines U-20 et U-17, ainsi que d’autres exploits isolés de nos compatriotes, lors des Jeux Olympiques en Russie ne reçoivent aucune forme d’appui ou d’accompagnement de manière formelle et directe. Nous avons un pays moribond, à tous les points de vue, extirpé de son vrai jus culturel. En l’absence de politique culturelle, le ministère de la Culture verse constamment des sommes faramineuses pour subventionner le carnaval, les fêtes champêtres, le Rara, entre autres. Le dysfonctionnement de l’ENARTS (École Nationale des Arts), des Centres d’Arts, des Maisons de la Culture et des « CLAC » (Centres de lecture et d’animation culturelle) est consacré depuis presque trois décennies, avec la « Crise Bajeux/Leurbourg ». Il n’y presque plus aucun appui aux activités créatrices du terroir. Comme il aurait été sublime que nos gouvernants parviennent à la mise en place d’un projet réunissant à la fois le beau, le bien, l’utile et l’agréable ! Mais, à défaut, faisons ce qu’il convient de faire sur le court terme, sans perdre de vue la limite de nos moyens. Nos jeunes ne lisent presque plus. Ils n’écrivent presque plus. Ils n’écoutent presque plus de musiques instructives. Il est vrai qu’Ayiti, à ce niveau, ne fasse point cavalier seul. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas tenter d’y remédier, dans la limite de nos moyens et en évitant de gaspiller nos maigres ressources dans des balivernes et le dévergondage de bas étage. Le rôle d’un dirigeant, n’est-il pas celui de montrer la route à suivre et de guider son peuple vers un destin plus inspirant ?
Au moment où le Président conviait sa jeunesse à cet exercice improvisé de défoulement au Champ-de-Mars, la population est aux abois. Elle n’a pas accès même au plus petit bout de pain au quotidien. Les hôpitaux ne prêtent plus de services. Le coût de la vie devient de plus en plus cher. Le taux d’inflation et de chômage augmente exponentiellement. Les fonctions de base de la société ne sont pas en mesure d’être satisfaites. L’éducation fonctionne au rabais. Absolument rien n’est garanti par une quelconque instance de l’État. Les jeunes, particulièrement, n’ont plus de repère. Nous sommes tous, chacun à sa manière, désorientés, désemparés, déboussolés, déconcertés, désarçonnés et détournés du chemin qui nous a été frayé. Nous semblons tous perdre le Nord. La politique généralisée de « Pito nou lèd men nou la », n’a plus sa place dans la Nouvelle Ayiti que nous devrions tous, chacun selon ses compétences, expériences, dons et talents, construire ensemble, sans distinction aucune ni de race ni de classe. Il doit bien y avoir une meilleure alternative à offrir à nos fillettes et adolescentes. Il n’est pas concevable qu’un commis de l’État, qu’il soit un directeur général, un ministre, un député, un sénateur, encore moins le président lui-même, soit dédouané d’une attitude si préjudiciable à notre propre canon de valeurs, pour quel que soit le motif. D’aucuns trouveront cette posture très vieux jeu, pathétique, voire peut-être hors contexte. Il est tout simplement question d’user d’intelligence et de bon sens. Il est grand temps que nous fixions les balises pour endiguer ces déconvenues qui nous font chevaucher loin, hors des somptueux sentiers de notre si glorieuse histoire. La postérité nous en sera très reconnaissante.
Point n’est besoin d’avoir bouclé de grands cycles d’études universitaires, pour comprendre qu’on ne saurait bâtir un pays sur les décombres de l’indécence et du manque de pudeur. Le Président et sa suite auraient pu s’inspirer et offrir en exemple au pays, le courage et la détermination de ce vieil homme de 76 ans qui vient de subir les épreuves de la 9e année, en l’occurrence : Monsieur Jean Orel. Il aurait pu choisir de récompenser l’effort et de montrer ainsi à la jeunesse de son pays, la route de l’excellence, le chemin à suivre. Mais hélas, nul ne peut offrir ce qu’il n’a pas en lui. Le concours de danse lascive au Champ-de-Mars, sous le haut patronage du Président de la République et de la Première Dame semble confirmer cette assertion. Néanmoins, chapeau pour vous Monsieur Orel, la Renaissance d’Ayiti a besoin de gens comme vous. Dommage que nos dirigeants ne puissent souligner publiquement votre exploit, à défaut de le récompenser comme cela le mériterait !
Jean Camille Étienne
Arch., Msc. en Politique et Gestion de l’ Environnement,
Cray, 6/22/2018
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