Des organisations de droits humains et paysannes dénoncent la présence de personnalités à réputation douteuse au sein du haut État-major des Forces Armées d’Haïti (FAD’H), mis sur pied la semaine écoulée, par le président Jovenel Moïse. La mise en place de ce haut État-major traduit la volonté du gouvernement de créer une armée, pareille à celle du régime duvaliériste, qui avait participé à de nombreux massacres, assassinats et coups d’État, selon Mario Joseph, avocat du Bureau des avocats internationaux (BAI). Au lieu de poser les bases démocratiques pour former une vraie armée, le pouvoir en place a préféré choisir des personnalités issues de l’ancienne force armée responsable, dans le passé, de graves atrocités. Il rejette la décision de Jovenel Moïse de nommer, comme membre du haut État-major, Jean Robert Gabriel, qui avait été condamné par contumace dans le procès du massacre de Raboteau, commis aux Gonaïves, le 16 novembre 2000. Cette décision, prise par l’administration Moïse-Lafontant, constitue une tentative de diversion sur le dossier de dilapidation des fonds PetroCaribe, dans laquelle seraient impliqués plusieurs anciens premiers ministres et ministres, entre autres, met-il en garde. Ce militaire tortionnaire, dit-il, doit être traduit en justice pour répondre de ses actes. Des suspicions pèsent sur la plupart de ces personnalités, quant à leurs appartenances politiques pro-duvaliéristes, lors du coup d’État de 1991, avance le coordonnateur du Collectif Défenseurs Plus, Antonal Mortimé. Il encourage les tribunaux, la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) ainsi que celle de l’immigration et de l’émigration, à fournir des informations, pour qu’une investigation rigoureuse soit menée sur les membres de ce haut État-major de l’armée. « Ce haut État-major n’est pas diffèrent de celui de l’ancienne armée. Il peut se révéler même pire. Certains de ses membres sont des repris de justice, traversés par des courants idéologiques et politiques d’extrême droite », avertit Mortimé. Pour sa part, Osnel Jean-Baptiste de l’organisation Tèt kole ti peyizan ayisyen estime que différents secteurs de la vie nationale auraient dû être consultés, dans le cadre de la mise en place de l’armée, alors que ce n’est pas le cas. Cette armée « tortionnaire et corrompue », selon lui, serait incapable d’apporter des réponses concrètes aux problèmes fondamentaux du pays, soutient-il.
Pour sa part, le nouvel ambassadeur des États-Unis d’Amérique en Haïti, Mme Michele Sison, n’a pas écarté la possibilité d’un éventuel accord de coopération entre son pays et Haïti autour de la remobilisation des Forces armées d’Haïti, mais déclare prioriser, pour l’instant, la police nationale. Répondant à une question au cours d’une conférence-débat au Campus Henry Christophe de Limonade (CHCL), sur les raisons pour lesquelles les États-Unis ne veulent pas « assister » les nouvelles forces armées du pays, la diplomate américaine explique, d’entrée de jeu, que son pays appuie depuis plus de 20 ans la Police nationale d’Haïti, « en l’aidant à améliorer sa capacité institutionnelle et à augmenter ses effectifs pour mieux servir le peuple haïtien ». « La Police nationale d’Haïti a fait des progrès significatifs ces dernières années, et nous avons soutenu des programmes visant à renforcer la police de proximité, à lutter contre la criminalité transnationale », a fait savoir la diplomate. Mme Sison rappelle plus loin que, dans le Nord et le Nord-Est, les États-Unis ont construit une prison à Fort-Liberté, des commissariats de police à Caracol et Terrier-Rouge, et les installations du Bureau de lutte contre le trafic des stupéfiants (BLTS) au Cap-Haïtien. Par ailleurs, Michele Sison signale que les États-Unis garderont la porte ouverte dans des discussions avec le gouvernement sur ce sujet (celui de l’armée), rappelant dans la foulée, la récente visite à Washington du ministre de la Défense Hervé Denis. Estimant qu’Haïti est un pays souverain, la diplomate américaine croit savoir que les forces armées sont rétablies pour répondre aux catastrophes naturelles et pour surveiller les frontières. Dans un exercice de « lavage du visage de l’armée », le ministre de la Défense Hervé Denis a affirmé qu’aucun de ses membres ne s’est rendu coupable de violation des droits de l’homme ou de trafic de drogue. Dans le cas particulier du colonel Jean-Robert Gabriel, accusé d’implication dans le massacre de Raboteau, le 3 avril 1994 aux Gonaïves, le ministre dit disposer de document indiquant que ce dernier a été blanchi.
Emmanuel Saintus