Le choix du gouvernement d’imposer l’utilisation exclusive de la gourde pour toutes les transactions sur le sol national, ne plait pas à tout le monde. Pour certains, le gouvernement n’a pas tenu compte de l’avis du secteur privé pour prendre cette décision. Pour d’autres, cet arrêté ne va rien changer à la dépréciation de la gourde par rapport au dollar, encore moins résoudre les problèmes économiques. Pour le premier ministre Jack Guy Lafontant, il s’agit d’une mesure responsable et réfléchie qui vise à protéger les consommateurs et à diminuer les pressions exercées sur la gourde. Cette dernière ne cesse de perdre de sa valeur par rapport au dollar US qui s’échange, depuis un certain temps, à environ 66 gourdes pour un dollar. La monnaie locale est la gourde et la plupart des citoyens qui travaillent dans le pays perçoivent leur salaire en gourdes, a justifié le Dr Lafontant qui juge anormal que les restaurants, les concessionnaires de véhicules, les propriétaires de maison, pour ne citer que ceux-là, exigent que leurs factures soient réglées en devise américaine. Il faut que cela cesse, a lancé le chef du gouvernement. Pour sa part, le ministre du Commerce et de l’Industrie, Pierre Marie Du Mény, a annoncé que des brigadiers seront déployés sur le terrain, en vue de s’assurer de l’application de cette mesure qui, a-t-il dit, a la vocation de protéger les intérêts de la population. Il faut que cette mesure soit appliquée sur toute l’étendue du territoire et dans son intégralité, a souligné le Dr Du Mény. Son collègue de l’Économie et des Finances, Jude Alix Patrick Salomon, a lui aussi estimé qu’il est anormal que les transactions effectuées sur le territoire soient facturées en dollar américain alors que la monnaie en cours dans le pays n’est autre que la gourde. Toutefois, il a garanti que les citoyens peuvent toujours solliciter la devise américaine en cas de besoin, notamment lors de voyages à l’étranger. Ce qui est sûr, a-t-il dit, c’est que dorénavant, il est interdit de faire des transactions en monnaies étrangères sur le territoire haïtien. Pour sa part, le gouverneur de la Banque centrale, Jean Baden Dubois, a rassuré que la mesure interdisant aux entreprises de facturer leurs transactions en devise américaine ne signifie pas que les citoyens ne pourront pas disposer de comptes bancaires libellés en dollar. S’agissant des transferts reçus de l’étranger, M. Dubois a souligné que les maisons de transfert doivent remettre l’argent aux bénéficiaires dans la monnaie du transfert. Le président de la Chambre des députés, quant à lui, salue la décision prise par le gouvernement de faire obligation que les transactions qui s’effectuent en Haïti soient libellées en monnaie locale, la Gourde. Reconnaissant qu’une telle décision est loin de faire l’unanimité et que déjà la majorité des économistes questionnés y voient beaucoup d’inconvénients, Gary Bodeau appelle les acteurs au dialogue. En effet, pour l’élu de Delmas, il est nécessaire d’en finir avec la dollarisation informelle mais l’équipe au pouvoir ne peut en décider seule. «S’il y avait un marché boursier en Haïti, la décision du gouvernement aurait pu provoquer un crack boursier», affirme le député Bodeau qui critique seulement la façon de faire. Toutefois, ce dernier voit, dans la démarche de l’administration Moïse-Lafontant, la volonté de faire appliquer la loi en Haïti. Brandissant la Constitution, l’élu de Delmas insiste que la Gourde est la monnaie nationale, réservée aux transactions sur l’ensemble du territoire.
De son côté, le Forum Économique du Secteur Privé se dit étonné d’apprendre la publication d’un arrêté portant obligation de libeller des transactions commerciales sur le territoire dans la monnaie nationale, la gourde. Il réclame, des instances responsables, la publication d’un communiqué officiel, confirmant que cet arrêté fera l’objet de circulaires d’application venant spécifier les modalités de sa mise en œuvre, comme annoncé, dit-il, par les autorités nationales, lors d’une conférence de presse le 2 mars 2018. Le communiqué doit également préciser que l’arrêté n’entrera pas en application sans la publication de ces circulaires, avance-t-il, dans une lettre en date du 2 mars 2018, adressée au ministère de l’Économie et des Finances (MEF). Il souhaite également que le contenu de ces circulaires prenne en compte des spécificités propres à chaque secteur et branche d’activité. La correspondance exhorte le MEF à entreprendre des consultations avec les associations membres du Forum Économique du Secteur Privé. Il s’agit de : l’Association Professionnelle des Banques (APB), la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH), l’Association des Industries d’Haïti (ADIH), l’Association Touristique d’Haïti (ATH), l’Association des Assureurs d’Haïti (AAH), l’Association Maritime d’Haïti (AMARH), la Chambre Franco-Haïtienne de Commerce et d’Industrie (CFHCI) et la Chambre de Commerce Américaine en Haïti (AMCHAM). Bien que faire appliquer la loi n’a jamais eu besoin de consultation, comme le croient le gouvernement et son entourage, toutefois, après tant de laisser-aller, il serait de bon ton que l’équipe au pouvoir se mette à l’écoute des gens du secteur privé, considérant que plus de 64 % des dépôts totaux des banques commerciales sont en dollars US.
Emmanuel Saintus