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Ce qu’il faut discerner entre les lignes, quant aux perspectives en Haïti

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Souvent, il faut savoir lire entre les lignes pour discerner les vrais messages enrobés de belles tournures de phrases et de mots savants. C’est particulièrement le cas, lorsque nos interlocuteurs sont des étrangers, hauts cadres de grandes institutions, pétris du jargon diplomatique. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas. Et c’est d’autant plus intriguant lorsque cela arrive aussi soudainement et avec autant de fracas, comme on le constate ces derniers temps.

La situation générale du pays est très préoccupante, et c’est peu dire. Les indices sont là et crèvent le masque d’impassibilité feinte que portaient publiquement, encore récemment, nos grands décideurs locaux et nos grands amis internationaux, pour la plupart. Tout ce beau monde essayait de donner le change et, malgré les ratés évidents, on faisait comme si tout roulait comme sur des roulettes bien huilées. Mais, lorsque même des diplomates haïtiens, des maires en fonction et des ex-grands commis de l’État n’arrivent pas à se faire payer des arriérés de revenus, il ne s’agit plus de quelques malheureux, déconnectés de la vie politique, que l’on peut se permettre d’ignorer, tout simplement. Lorsque des enseignants dénoncent la vieille stratégie appliquée depuis plus de cinq ans de promettre n’importe quoi pour ne délivrer que le tiers de la moitié de ce dont on avait convenu, il ne s’agit pas de quelques journaliers que l’on pourra toujours remplacer par une partie de la grande cohorte de chômeurs qui peuplent nos rues et nos chaumières. Quand nos enfants prennent la rue à leur tour pour exiger d’avoir des enseignants dans leur salle de classe, on ne peut plus feindre la placidité et contredire la réalité. Mais c’est un comble quand l’État, comme seule réponse aux demandes de ces élèves, lance sa police à leurs trousses et les fait bombarder de gaz lacrymogènes, quand on ne leur tire pas dessus avec des balles réelles, comme en attestent les élèves blessés par balles qui se retrouvent à l’hôpital, après des manifestations d’élèves et de professeurs à Cité-Soleil.

Bien sûr, il se trouvera toujours quelques spécialistes des médias (spin doctors) pour tourner l’information à l’envers et lui faire dire le contraire de sa signification exacte pour le commun des mortels. On en trouve partout, en Haïti comme à l’étranger, il suffit d’y mettre le bon prix. De Washington, tel démarcheur pourra toujours participer à toutes les émissions d’affaires publiques au pays, pour tenter d’édulcorer la cruelle réalité que vivent les gens de chez nous et leur débiter ses boniments qui sont d’autant plus crédibles à leur entendement, qu’ils proviennent de quelqu’un qui a pu faire sa place au soleil, ailleurs, au pays de l’Oncle Sam par-dessus le marché. Qu’importe s’il ne la vit pas de près, cette réalité au quotidien, il lui suffit de l’avoir vécue autrefois, pour en garder, à son avis, une idée juste et vivide, pour une durée indéfinie dans le temps, semble-t-il. On s’en trouvera aussi en Haïti, des artistes de la virevolte politique qui disent blanc aujourd’hui, ce qu’ils diront noir demain, avec tellement d’éloquence et de bagout que tous ceux qui oseraient prendre le contre-pied de leurs affirmations péremptoires, pourraient se voir traiter de cancrelats auxquels il faudrait réserver le traitement congru. Mais, disais-je donc, les indices d’une débâcle grandissante s’accumulent comme des nuages annonçant une tempête prochaine. Et les messages lancés par des grands émissaires sont de moins en moins codés. On échappe les gants blancs, de temps en temps. Ceux qui peuvent lire entre les lignes savent ce que veulent dire ces étranges signaux.

Par exemple, M. Mamadou Diallo, Représentant Spécial Adjoint de la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH) du Secrétaire général des Nations Unies, dans ce rôle, n’a pas toujours été très subtil, qu’on se souvienne de son algarade avec l’ex-président du Sénat, M. Youri Latortue, en octobre dernier, sur la nécessité de la sanction du Parlement pour accréditer le mandat de la MINUJUSTH. Les échanges à travers les médias entre ces deux hommes n’avaient pas toujours été empreints d’une grande civilité, lorsqu’il avait été question de l’accréditation de la MINUJUSTH. Depuis lors, M. Diallo, probablement à la suggestion de ses supérieurs hiérarchiques, opte pour des manières plus délicates. M. Latortue, lui, s’était contenté d’une démagogie parlementaire, sans lendemain. Le Sénat, sous sa gouverne, n’a jamais pu tenir séance pour une accréditation de la MINUJUSTH sanctionnée par le Parlement, comme il l’exigeait. Si M. Diallo a revêtu ses habits de diplomates ces jours-ci et chante avec un trémolo les vertus de la Caravane du Changement du gouvernement, comme il l’a fait récemment lors de ses rencontres avec le ministre de la Planification et de la Coopération externe, M. Aviol Fleurant, le travail de choc a incombé, ces derniers jours, à la Responsable de la MINUJUSTH qui n’a pas raté l’occasion de se positionner publiquement sur certains dossiers haïtiens, touchant directement le mandat de la MINIJUSTH. En effet, Mme Susan Page a publié un communiqué fixant le point de vue de la MINUJUSTH quant au traitement du dossier du Fonds PétroCaribe d’une part, et d’autre part, quant à l’absence de suivi adéquat par les autorités judiciaires au sujet des incidents meurtriers survenus à Lilavois et à Grand-Ravine et dans lesquels se trouvaient impliquées nos forces de police. Cette dénonciation publique de l’impunité pratiquée à différents niveaux par nos institutions, a piqué au vif le gouvernement qui a rapidement donné dans la surenchère. Protestations du premier ministre : « Haïti n’est pas une savane »; condamnation de la cheffe de la MINUJUSTH par la chancellerie haïtienne; rappel pour consultation de l’ambassadeur du pays aux Nations Unies; appel du Président d’Haïti au Secrétaire général de l’ONU, selon M. Juras; boycott d’une rencontre par le président d’Haïti aux Nations-Unies pour le financement de la campagne pour l’éradication du choléra; le gouvernement haïtien a multiplié des gestes de colère qui soulignent plutôt à grands traits son désarroi. Les tonneaux vides font généralement d’autant plus de bruit qu’ils ne contiennent rien et qu’ils pèsent si peu dans la balance de la réalité. Pire encore, on ferait passer un voyage planifié de longue date de Mme Susan Page à l’étranger pour un rappel officiel de ce haut cadre de l’ONU en Haïti. On pratique la désinformation primaire à grand renfort de décibels sur les réseaux sociaux. Du bruit de fond, sans plus. Et après, on fera quoi ? Quitterait-on l’ONU, par hasard ?

Entre temps, une équipe du Fonds Monétaire International (FMI) dirigée par Chris Walker, Chef de mission du FMI pour Haïti, était à Port-au-Prince du 20 au 25 février pour des discussions avec les autorités haïtiennes sur un Programme contrôlé par le personnel du FMI « Staff-Monitored Program » (SMP). Au terme de celles-ci, le Président de la République et ses conseillers économiques ont signé un protocole exigeant : ce SMP. Essentiellement, l’accord conclu par le gouvernement avec le FMI couvre une période de six (6) mois, allant de mars à août 2018 et touche les points suivants, selon un rapport publié par HL (Haïti/Libre) :

  • […] Dans le cadre du SMP, la politique fiscale (du pays) se concentrera sur la mobilisation des recettes et la rationalisation des dépenses courantes, afin de faire de la place pour des investissements publics critiques dans les infrastructures, la santé, l’éducation et les services sociaux. Cela comprendra des mesures visant à améliorer la perception et l’efficacité des impôts et à éliminer les subventions excessives, y compris sur le carburant. D’autres réformes viseront à endiguer les pertes de la société publique d’électricité (EDH) qui, ces dernières années, ont représenté une part non négligeable du déficit public, en améliorant l’efficacité de la facturation et en réformant les pratiques contractuelles. Les réformes fiscales visent également à accroître la transparence des comptes publics.
  • […] La Banque Centrale d’Haïti (BRH) continuera à protéger les réserves internationales et à préserver la flexibilité du taux de change, tout en agissant si nécessaire pour contenir les conditions désordonnées du marché. Dans le cadre du programme, les autorités limiteront le recours au financement monétaire du déficit public et la BRH alignera sa politique monétaire pour maîtriser l’inflation, tout en maintenant un flux de crédit suffisant au secteur privé.
  • […] Le personnel du FMI travaillera en collaboration avec les autorités pour suivre les progrès de la mise en œuvre de leur programme économique. Le FMI continuera également de fournir une assistance technique pour soutenir les efforts de renforcement des capacités et le programme de réformes structurelles d’Haïti. Le SMP est conçu pour aider les autorités à établir des antécédents crédibles, et la mise en œuvre réussie du Programme, catalysera les flux critiques des partenaires de développement et soutiendra une future demande d’accord sur la Facilité Élargie de Crédit (FEC). »

En effet, on ne donne pas facilement le change aux grandes institutions internationales. On ne peut pas professer publiquement une chose pendant que l’on pratique son contraire dans le quotidien. En quatre mois depuis le début de l’exercice financier 2017-2018, le gouvernement a accumulé 9 milliards de gourdes de déficit, sur un budget de 144 milliards de gourdes, selon un aveu récent du Gouverneur de la BRH, à l’occasion de la visite d’inspection des autorités du FMI. À ce rythme-là, il s’élèverait à près de 30 milliards de gourdes à la fin de l’exercice. Il fallait bien que quelqu’un, quelque part, sonne la fin de la récréation, avant de se ramasser avec un autre énorme gâchis à écoper. Pour la galerie, M. Walker n’y est pas allé avec grand bruit. Il a tout simplement ignoré la présentation du Président qui lui avait seriné son couplet habituel sur les vertus de la Caravane du Changement. Dans les faits, quand on lit bien entre les lignes, maintenant que tout le monde a été ramené au pas et dans les rangs, le FMI met le gouvernement en probation pour six mois. Si ce dernier fait bien ses devoirs et respecte les consignes qu’il a « librement » acceptées dans le protocole de SMP, le FMI consentira à recommander aux bailleurs de fonds étrangers de procéder à quelques dons et à des subventions, sans plus. Mais la facture est salée, et le prix politique à payer pour la rédemption de nos finances et l’obtention d’une bouée de survie est élevé.

Ce que nous devons lire entre les lignes, c’est que la Communauté internationale n’est quand même pas prête à avaliser n’importe quel comportement administratif, n’importe quelle dérive politique de ce gouvernement, même si elle avait supporté ce candidat à la présidence par tous les moyens. Après tout, bon gré mal gré, c’est elle qui devra éventuellement mettre la main à la poche pour réparer les dégâts, bien sûr, avec la population haïtienne qui ne pourra pas partir vers des cieux plus cléments, tout le monde en même temps. Nos amis de la communauté internationale sentent monter la grogne de la population sans pouvoir déterminer, à ce jour, quelle sera l’alternative politique vers laquelle elle pourrait se tourner en temps et lieux, et cela n’est vraiment pas de bon augure, tant pour le pays que pour les supporters internationaux de ce gouvernement, qui se rendent à l’évidence de leur échec qui semble inéluctable.

Ce que nous devons lire entre les lignes, c’est que le gouvernement dominicain, lui, ne s’embarrasse pas de nos reculs, même qu’il en profite et planifie l’expansion de son économie à nos dépens. Elle se propose d’étendre une ligne de chemin de fer pour mieux arrimer le Nord et le Nord-Est d’Haïti à son économie. Le gouvernement haïtien n’a pas encore pipé un mot à ce sujet. Il semblerait que la filière touristique dominicaine envahisse progressivement le Sud-Est, jusqu’à Marigot. Le gouvernement dominicain veut tripler son exportation vers Haïti et planifie minutieusement son coup. En effet, le président Médina avait d’abord rencontré le président Moïse et lui avait déroulé le tapis rouge avant même qu’il ait prêté serment. Il vient de faire de même avec une délégation du Parlement haïtien, en toute discrétion, pour s’assurer sans doute que ses projets n’y seront pas contrés. Tout le monde à son prix. Et puis, tout moun jwenn, comme le dirait le coloré ex-sénateur Jean Hector Anacacis, actuel président de LAPEH. Tout le monde trouve sa part du gâteau, sauf peut-être la population qui regardera passer le train qui lui ramènera de la Cibao, la quincaillerie dominicaine, sans rien rapporter du pays, puisque nous ne produisons presque plus rien. En fait, à mots à peine couverts, on évoque déjà l’intégration économique formelle de nos deux marchés mais, dans la réalité, il s’agirait plutôt d’une annexion purement et simplement.

Parmi d’autres indices plus ou moins subtils à décoder, signalons un rapport produit il y a déjà quelques années (en 2006) par le major Michael T. Ward, de l’armée canadienne, traitant de « l’utilité de placer Haïti sous tutelle internationale » http://www.journal.forces.gc.ca/vo7/no3/ward-fra.asp. Comme le titre l’indique, sans fard et sans détour, il plaidait pour la mise en tutelle du pays pour une durée de 20 à 40 ans, le temps nécessaire pour réussir à changer sa culture politique. « Le but primordial serait de créer un système de gouvernance qui jouera un rôle déterminant dans l’amélioration de la vie de la population haïtienne et qui sera vue par celle-ci comme étant légitime. Cette solution n’est ni rapide ni bon marché, mais, compte tenu de l’histoire de l’État haïtien, elle est nécessaire. », selon le militaire canadien. Il ne faut pas oublier non plus les réflexions de l’élite politique dominicaine, quant aux moyens et à la pertinence d’annexer le territoire haïtien. Cette discussion avait même été amorcée déjà par les autorités dominicaines avec les autorités américaines, il y a deux ans, si ma mémoire est exacte. En serions-nous rendus là?

Le rapport de la Banque Mondiale, celui de Transparency International, les incendies accidentels ou criminels de marchés publics, l’incapacité du gouvernement à réagir adéquatement à ces situations, sont pour moi des indices qui convergent vers le constat de l’incapacité de notre élite politique à gérer le pays adéquatement, vers la déliquescence de nos institutions, structures fondamentales de notre société. À cela s’ajoute la visite de la Sous-Secrétaire générale aux opérations de maintien de la paix des Nations-Unies, Mme Bintou Keita, qui vient rencontrer les plus hautes autorités de l’État pour leur transmettre ses vives préoccupations quant au dysfonctionnement du système judiciaire du pays. Entendez par cela une semonce, en bonne et due forme. Pour moi, cela ressemble à s’y méprendre à un pays sans guide, une carcasse que l’on achemine vers la casse où chacun pourra se servir en pièces détachées.

 

Pendant ce temps, comme pour donner raison à tous nos amis qui nous veulent tant de bien, le diable est aux vaches dans les secteurs de l’opposition, chez nous. Le gouvernement est embourbé dans diverses allégations de corruption. Et le Chef de l’État, publiquement, se fait fort de bloquer tout processus visant à vider ce problème comme il se doit, en traduisant les inculpés ou les accusés devant leurs juges naturels pour que justice soit faite. Pour lui, déférer des inculpés de fraude et de crimes financiers devant leurs juges naturels et amener les corrompus devant les tribunaux, équivaudraient à une chasse aux sorcières, à de la persécution politique dont il faut bien se garder à tout prix. Cela se comprend d’autant mieux qu’il est lui-même un inculpé en sursis pour la durée de son mandat présidentiel en cours. Sans alternative politique cohérente et évidente, confronté à une situation économique extrêmement difficile et avec à sa tête une équipe d’amateurs politiques totalement désorganisée, les perspectives du pays, à court, à moyen et à long terme ne semblent pas être très prometteuses. Par quelque bout de la lorgnette que nous observions la situation du pays, quelle que soit notre capacité à décoder les messages qui nous sont adressés crûment ou en daki, il semble que nous assistons à une fin de régime, au terme d’un cycle, à l’usure complète d’un modèle qui n’offre aucune piste pour un rapiéçage, pour un replâtrage même superficiel, comme nous l’avons fait à plusieurs reprises. Le pays est en chute libre. Et aujourd’hui, nos forces vives sont éparpillées comme des fétus de paille soufflés par la discorde politique, au pays comme en diaspora.

Pierre-Michel Augustin

le 6 mars 2018

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