Chaque fois que le Président de la République déclare qu’il n’y aura pas de persécutions politiques durant son mandat, dans l’immédiat, un tel message doit probablement causer de la chair de poule aux promoteurs de la démocratie en Haïti, voire dans toute la région. En fait, dans un pays où la politique est trop souvent marquée par les violentes persécutions des partis au pouvoir contre leurs opposants, une telle promesse mérite des applaudissements d’encouragement. En attente d’actions concrètes pour démentir ou confirmer la véracité de son intention, on peut quand même affirmer que ce discours donne déjà l’impression que le défenseur et protecteur numéro 1 des Haïtiens tente d’apporter une nouvelle ère dans la politique haïtienne. En effet, comment oser parler de persécution politique de la part d’un gouvernement qui paie du trésor public, les frais de nombreux partis politiques?
Avant de crier victoire, il convient de bien cadrer dans quel contexte certains Haïtiens bénéficient de l’assurance de cette noble protection du Président contre toute persécution: la lutte contre la corruption. Le gouvernement s’est fixé au début de son mandat de faire la lutte contre la corruption, sa priorité car selon le président, les cinq grands maux du pays sont corruption, corruption, corruption, corruption et corruption. Un an après, les résultats sont si maigres, au lieu de sonner les trompettes pour annoncer une victoire, le président annonce la capitulation. Aujourd’hui, la lutte contre la corruption n’est point à l’ordre du jour. Le chef de l’État, face à ce grand monstre qu’il qualifie de Système géant, a laissé le champ de bataille pour se réfugier dans sa Caravane pour repenser sa stratégie. Le 7 février 2018, il annonce son nouveau plan : « Maintenant, il n’est plus question de lutte mais de prévention de la corruption ».
Imaginez-vous, si un jour le directeur général de la Police Nationale décidait de ne plus combattre le crime et s’orientait uniquement vers la prévention, quel serait le message lancé aux bandits, voleurs, kidnappeurs et assassins? Quel serait-il, si la Police déclarait officiellement qu’elle n’est pas capable de les empêcher de commettre un crime et qu’ils n’auront plus à s’inquiéter d’aucune poursuite? Ou pire encore, que ferions-nous, si les médecins abandonnaient la lutte contre les maladies et ne feraient plus que de la prévention contre des maladies que l’on pourrait éventuellement contracter? On les traiterait de monstres quand le taux croissant de décès de toutes les personnes déjà victimes de la maladie deviendrait inquiétant. Quand le président fait savoir qu’il ne peut pas utiliser la lutte contre la corruption à des fins de publicité et de persécutions politiques, il faudrait lui demander dans quel monde ou dans quel autre pays à part Haïti, la poursuite d’un voleur, d’un corrompu ou d’un corrupteur, qu’il soit à cravate ou pas, est synonyme de persécution politique?
Il semble que le seul espoir de vaincre ce cancer qui rend notre nation moribonde, soit dans la prévention uniquement. Au stade avancé que le pays se trouve avec ce fléau, il semblerait que c’est impossible de combattre la corruption efficacement. On reconnaît les défis et les dangers réels dans une bataille contre un Système bourré de corrompus et de corrupteurs. Cependant, comment gagner une telle lutte, si on a peur de punir les ennemis du peuple : les voleurs des caisses de l’État ? Si la corruption représentait les cinq (5) uniques problèmes du Président Jovenel Moïse, la protection officielle des personnes et entités accusées de corruption marque la capitulation de l’État dans ce domaine. L’impunité ou kase fèy kouvri sa est la sœur siamoise de la corruption. Malheureusement, dans l’administration publique en Haïti, on s’acharne à protéger surtout les accusés de corruption, lorsque le Président appelle publiquement au boycott des investigations visant à faire la lumière sur des possibles malversations, surfacturations et corruption dans des projets dont le montant total dépasse les milliards de gourdes. Le peuple étant la grande victime de la corruption institutionnalisée, voudrait savoir comment réagir, selon la Constitution, face à l’attitude négligente de l’Exécutif et complice du Législatif qui, sous prétexte de persécution politique, offrent une protection aux personnes qui auraient des comptes à rendre sur leur gestion des biens sociaux et publics.
Rodelyn Almazor
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