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Les zombis sont devenus très populaires à cause des films hollywoodiens qui se répandent un peu partout à travers le monde. Des shows très appréciés sur Netflix comme le « Walking dead », « Zombie apocalypse », « iZombie », « Z nation », etc., ont capturé l’attention de millions de spectateurs. Je ne sais pas par quelle magie, la fiction et les fantaisies de ces films arrivent à capturer l’intérêt d’autant de gens plus que la réalité des vrais zombis en Haïti ? À une heure et demie de vol d’avion, à Port-au-Prince, le « zombistime » n’est point fiction.
Il ne s’agit pas des histoires documentées de zombification des Haïtiens avec des poisons magiques, épicés de prières maléfiques de certains Houngan malfaisants (ou Bòkò). Aujourd’hui, ce phénomène fait partie de la politique haïtienne et, plus précisément, de la gestion des ressources de l’État haïtien. Les zombies ne sont plus les travailleurs ou esclaves modernes des champs et de petites boutiques. Toutes les cérémonies mortuaires, les détours dans les morgues et cimetières ne sont plus à l’ordre du jour. Les zombies sont des citoyens qualifiés, avec des postes grassement payés dont les rémunérations coûtent des centaines de millions de gourdes par année au trésor public de l’État haïtien. Comment serait-il possible d’expliquer ce phénomène à un étranger curieux, sans éclater de rires ?
Pour éviter le ridicule, je m’adresse principalement à mes compatriotes haïtiens qui, sans le savoir, pourraient avoir un zombie parmi leurs proches, un zombie comme collègue. À cause de nos mœurs et coutumes, nous avons tendance à accepter, sans volonté de nous rebeller, sans poser de questions, que les zombis font partie de nous. Pour ne pas trop vous dérouter, prenons quelques exemples de la présence de ces zombies.
Aux élections, quand les résultats ne sont pas ceux espérés par un parti politique, on ne crie pas aux voleurs mais plutôt aux zombies. Ce fut le cas après la publication des résultats des élections du premier tour en octobre 2016. Le Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK) n’avait pas attendu pour dénoncer la publication du rapport de la Commission indépendante d’Évaluation et de Vérification électorale (CIEVE) car ces résultats étaient bourrés de votes zombies. De nombreux zombies qui auraient voté seulement dans le vote présidentiel, avaient jeté la majorité de leurs votes contre le parti de M. Jovenel Moïse. Au deuxième tour, ce fut le tour de M. Moïse Jean-Charles et de Dr. Maryse Narcisse pour accuser le Conseil électoral d’avoir validé des votes zombies s’élevant à presqu’un demi-million, en faveur du PHTK.
Peu de temps après, le président de la République, dans le cadre de la lutte contre la corruption, avait publiquement et vivement dénoncé les employés zombies qui vident les caisses de l’État, encaissant plusieurs millions de gourdes à chaque coup. Pour lui prêter mains fortes dans cette lutte, une investigation du ministère de l’Économie et des Finances avait permis de dévoiler un réseau de zombies au sein du ministère de l’Intérieur. Selon cette enquête, des zombies du dit ministère aurait changé les mêmes chèques (par exemple 65057, 65059) plusieurs fois. Comment est-ce possible ?
Comme suite logique, le président de la République, lors de sa visite en France, dans une conférence avec la diaspora haïtienne parisienne, avait confirmé l’arrestation de 15 zombies. S’agissant des l’identité de ces zombies, il déclara alors qu’il n’allait pas autoriser la publication de leurs noms car dit-il, ces zombies viennent de familles honorables et qu’il faut protéger leur réputation. Pourrait-on aussi supposer que si ces zombies ne sont incarcérés pas au Pénitencier national, c’est dans un souci de protéger la population que le gouvernement Moïse-Lafontant garde secret, le lieu de détention ainsi que les noms des zombies ? Peut-être que le peuple ne connaîtra jamais les vrais responsables ni les montants exacts des pertes annuelles que l’État haïtien accuse à cause des transactions effectuées par ces zombies. Ce qui semble rassurant aux yeux de certains concitoyens, ce sont les nouvelles récentes au sujet des chèques zombies.
La Police nationale vient de faire une grande saisie, pas de marijuana ou de cocaïne, mais cette fois d’une somme de 50 millions de gourdes destinées au payroll des zombies policiers. Malheureusement, ces zombies ont disparu et ont pu éviter leur capture. On demande à la population en général et aux policiers affectés dans la zone métropolitaine en particulier, de contacter en urgence la PNH si par un hasard (heureux ou malheureux, c’est selon), ils rencontraient dans leur parcours, un de ces zombis, sans uniforme.
Dans le souci d’informer et d’éduquer la population, le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation Professionnelle(MENFP) a aussi miraculeusement trouvé plus de 72 millions de gourdes qui allaient servir à payer les arriérés de plusieurs mois de salaires dus à des professeurs zombis. Devrait-on être surpris de cette nouvelle quand on sait que des lycéens, à travers tout le pays, n’ont jamais raté l’occasion de se plaindre des professeurs zombies qui ne se présentent point dans leurs salles de classe ?
Dans nos morgues, cimetières, péristyles, au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique, au sein de la Police Nationale et même au MENFP, sans mentionner les autres ministères, les zombis sont partout dans la ville. Ils reçoivent leurs chèques à temps, et les encaissent sans aucune nuisance, en présentant leur carte d’identité zombie et leur numéro de compte zombie. Dans le cas ou par erreur, ils seraient supposément arrêtés, leurs noms resteront encore mystérieux. Peut-être que le Vaudou nous enseigne et oblige l’État haïtien à mieux prendre soin de nos zombies que de nous-même, de la masse populaire ?
Tristement, ce n’est pas un conte de fée pour vous endormir. C’est la réalité de notre nation, le mode de fonctionnement de l’État. Le « zombitisme » va au-delà du mandat d’un gouvernement. Il est ancré dans notre système politique. Et ses effets dépassent l’imagination des acteurs hollywoodiens, allant jusqu’à influencer les déclarations du président américain qui déclara que des citoyens décédés il y a plus de 10 ans ou tout simplement des zombies américains qui seraient au nombre de 1,8 million auraient voté contre lui. Bref, dans la lutte contre le « zombitisme », notre seul espoir c’est que dans le futur, quand on cherche réellement où sont passés les zombies, on suivra le conseil de Coupé Cloué dans son titre « Zombi file, ale ». En vain on regardera au loin, dèyè kay la.
Rodelyn Almazor
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