Plus de deux siècles après la promulgation de la Constitution de 1806, en Haïti, les étrangers tentent de nous faire croire que notre pays n’a connu la démocratie qu’après la chute du président Jean-Claude Duvalier, en 1986. Tristement, nombreux sont nos intellectuels, historiens, journalistes qui répètent cet odieux mensonge comme un hymne. Et quiconque questionne le bien-fondé de la nouvelle démocratie importée des pays impérialistes et néocolonialistes, est automatiquement étiqueté de macoute, despote, dictateur voire communiste. En effet, après plus de cent ans de conflits, de guerres génocidaires, d’interventions racistes et criminelles des nations riches, soi-disant les plus civilisées, pour exploiter et dominer les nations plus pauvres et moins développées, la démocratie a servi de faux prétexte, tout comme la religion le fut autrefois. Les États-Unis, l’un des pays champions de la campagne en faveur de cette forme de gouvernance et de son imposition à travers le monde, ne mentionne nulle part, dans sa Constitution, le mot « démocratie ». Malheureusement, en mauvais apprentis, dans la Constitution amendée de 1987, nos hommes de lois et intellectuels sophistiqués se donnèrent le soin d’introduire ce mot dans nos textes de loi. Peut-être, qu’ils l’ont fait parce qu’Haïti est le premier État républicain et démocratique du continent américain où les hommes furent réellement libres et égaux ?
Il est vrai que nos exploits héroïques, comme premier peuple noir, libéré de l’esclavage, vainqueur de l’armée de Napoléon, sont racontés un peu partout dans le monde. Mais, ce dont on parle très peu et même chez nous, en Haïti, c’est que la Constitution de 1806 avait déjà un caractère républicain et démocratique, considérant l’époque. En effet, dans tout le continent américain, on ne comptait que deux pays indépendants : les États-Unis d’Amérique en 1776 et Haïti en 1804. Si nos voisins américains avaient une nation libre, vieille de 28 ans cette année-là, nous, les Haïtiens, parlions d’une nation anti-esclavagiste, indépendante et libre, constituée d’hommes et de femmes effectivement libres. Notre État fut différent de celui de notre voisin du grand Nord où toutes les classes et couleurs avaient combattu les Anglais jusqu’à la victoire mais dont les bénéfices et privilèges de celle-ci ne furent accordés qu’à leurs citoyens à la peau blanche. Notre révolution fut totale et radicale. Et en plus, elle fut conforme à la déclaration universelle des droits de l’homme : tous les hommes naissent et demeurent égaux en droits. Les Français, Américains, Espagnols et Portugais de l’époque étaient tous très occupés par le commerce des esclaves noirs d’Afrique, dans la conquête et la colonisation en Afrique. Comment comprendre que ces pays nous parlent alors de civilisation ? De droits de l’homme ?
Nos amis Canadiens qui polluent notre nation d’organisations non-gouvernementales (ONG), étaient encore sous le joug de l’occupation anglaise et s’agenouillaient et criaient encore vive le roi George III, tandis qu’en Haïti, on organisait déjà notre grande République. Notre démocratie fut axée sur les trois pouvoirs : législatif, judiciaire et exécutif. L’article 41 fixa le nombre de sénateurs à 24, avec un tiers pour trois ans, un tiers pour 6 ans et un tiers pour 9 ans selon l’article 44. Plus loin, l’article 48 parle de la création de l’assemblée électorale composée de douze personnes par département, totalisant 48 personnes les plus propres à remplir les fonctions de sénateurs, c’est-à-dire : des personnes qui exercent ou qui ont exercé une fonction civile ou militaire avec probité ou honneur. Le mandat du président fut fixé à quatre ans, comme c’est le cas aux États-Unis. Et la réélection du président ne se ferait qu’en raison de sa bonne administration. Dans ce cas, on peut fièrement citer le nom du président Pétion comme premier vrai républicain d’Amérique.
Je vous recommande la lecture de la Constitution de 1806 d’Haïti pour connaître davantage les détails de nos lois républicaines et démocratiques. Par exemple, l’organisation des élections pour créer le corps des députés, les compositions et attributions du pouvoir judiciaire, la justice civile, criminelle et la Haute Cour de justice, etc. Peut-être, certains de demanderont : qu’en est-il du suffrage universel ? Le droit des tous les citoyens de voter ? La réponse est simple : notre jeune nation accorda beaucoup d’importance au droit de vote des citoyens avec les élections paroissiales, communales et régionales (ou départementales). Cependant, il faut reconnaître que chaque État a le droit et le devoir de définir ses propres lois quant à l’organisation des élections.
En imitant maladroitement certaines lois des pays étrangers ayant des mœurs, des coutumes, des cultures différentes des nôtres, nous subissons encore les conséquences des élections qui préconisent le choix de la majorité provenant d’une minorité négligeable d’électeurs. Par exemple, sur à peu près 6 millions de citoyens haïtiens en âge de voter, ayant en main leur carte électorale, un demi-million d’Haïtiens, partisans d’un parti, ont suffi pour élire un nouveau président en 2016. Sur un total de 10 millions d’habitants, ces chiffres représentent à peine 5%, une minorité imposant leur leader à la grande majorité de 95%. Le pire, dans cette confusion démocratique moderne, c’est que ce genre de suffrage universel imposé à Haïti n’est même pas appliqué aux États-Unis car, malgré un déficit dans les votes populaires d’environ un million pour M. Trump, Mme Clinton fut déclarée perdante dans les présidentielles. Bref, les américains étant très nationalistes et riches, ils se sont permis de créer leur propre modèle de grands électeurs, sans consultation et approbation des pays voisins, de l’OEA, de l’Union Européenne et de l’ONU. Zéro ingérence (sauf pour l’immixtion russe, si celà s’avère) et totale indépendance par rapport au reste du monde.
Par analogie, il nous faut trouver une autre alternative à cette démagogie politique incorrectement appelée « démocratie », qui ne fait que faciliter les ingérences des néo-colons dans les affaires internes d’Haïti. Nous devons adopter notre propre démocratie, comme ce fut le cas en 1806, dont le caractère fut semblable un peu à celle proposée par Nelson Mandela en Afrique du Sud : une démocratie tribale (régionale) où chaque groupe/tribu pourrait choisir leurs représentants, leurs propres critères et coutumes. De même, les Anglais ont inventé la cohabitation entre une monarchie moderne et leur démocratie autochtone. Monaco n’est-elle pas fière de sa monarchie parlementaire ? Pourquoi ne pas s’asseoir sur un nouveau modèle « démocratique » haïtien, capable d’éradiquer l’instabilité politique chronique, la corruption généralisée, le pillage systématique des caisses de l’État, la pauvreté et le sous-développement ? Commençons par un geste symbolique en quittant ce mot venimeux et inapproprié de l’article premier de la Constitution amendée en 2012 : « Haïti est une République, indivisible, souveraine, indépendante, coopératiste, libre, démocratique et socialiste ». Ainsi, faisant usage pour une fois de notre totale indépendance et inviolable souveraineté, nos femmes et hommes de lois doivent travailler en tête-à-tête pour proposer un meilleur modèle de gouvernance de l’État, de la gestion de nos ressources et surtout d’élections de leaders propres. Bref, à l’image de la Constitution de 1806, inventons-nous un nouveau modèle, capable de faire sortir le pays de cette pollution démocratique.
Rodelyn Almazor
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