Mon défunt père avait de ces déclarations qui me reviennent parfois à l’esprit, à certaines occasions. Et la bêtise humaine lui en avait inspiré une qui n’était pas du tout piquée des vers. « Un cochon reste et demeure un cochon », disait-il avec philosophie. « On aura beau l’appeler un porc pour atténuer le statut de l’animal, on aura beau le laver et le brosser pour le rendre plus propre, plus présentable, mais c’est peine perdue. Il ne peut résister à l’appel de la boue. À la première mare, il ira, sans faute, se vautrer dans la fange, jusqu’aux oreilles ». À la vérité, en considérant la tragédie qui frappe nos amis américains depuis la semaine dernière, on doit convenir qu’il avait bien raison, mon père.
En effet, l’actuel président américain, comme à son habitude, a fait la une des journaux dans le monde, encore une fois, pour les mauvaises raisons. À en croire les témoignages de participants à une rencontre au Bureau ovale jeudi dernier, il y aurait utilisé l’expression « shitholes » (trous de merde), en se référant à des pays africains, à Haïti et à El Salvador. Le langage défécatoire et humiliant qui a coulé de la bouche de ce personnage est malheureusement un indicateur de l’essence même de l’individu: abjecte. La fréquence de la répétition de propos grossiers lancés, sans aucun état d’âme pour ses interlocuteurs ou envers ceux à qui il réfère, en est un autre pour souligner la dégradation de son état. Aucune empathie pour les autres, le nombrilisme absolu, à l’état quasi pathologique.
Mais cela étant dit, l’insulte adressée à Haïti, au El Salvador et aux pays africains n’en est pas moins sérieuse et mérite d’être traitée comme il se doit. S’il l’avait lancée à l’endroit de la Chine ou de la Russie, je ne suis pas sûr que cela aurait été sans conséquence. Aussi n’a-t-il pas osé le faire, du moins pas encore. Les ambassadeurs américains en poste dans ces pays auraient été convoqués par les ministres des Affaires Étrangères de ces pays pour une demande d’explication et probablement pour exiger des excuses publiques ou à défaut, les États-Unis pourraient faire face à des mesures de rétorsion. Les ambassadeurs de ces pays auraient été rappelés de Washington pour consultation par leurs plus hautes instances politiques locales. Le froid et la tension qui en résulteraient entre ces pays et les États-Unis auraient suffi pour que les cerveaux plus équilibrés ou moins dérangés dans le cercle rapproché du président prennent les mesures nécessaires pour le contenir, à défaut de s’en départir, avant qu’il ne créée une vraie catastrophe. En outre, ultimement, la réponse officielle de ces gouvernements ne viendrait pas de leur ministre des Affaires Étrangères. Puisque l’insulte proférée a été exprimée par le Président des États-Unis, ses homologues se chargeraient de lui river son clou. Tout est une question d’échelle, de gradation et de réciprocité dans les répliques officielles, en matière diplomatique.
Dans le cas d’Haïti, le Président de la République, sans doute trop occupé dans la micro-gestion de sa Caravane ou pour donner le change, a laissé sa responsabilité au Ministère des Affaires Étrangères qui a publié une note de condamnation que personne n’a osé signer, de peur peut-être de se faire retirer un visa américain ou de figurer sur une liste noire de l’Oncle Sam. Sans doute qu’on n’a pas voulu mettre à risque les millions de dollars de subventions à tant d’activités relevant de la responsabilité de l’État mais dont celui-ci se décharge, faute de moyens, de volonté et surtout de vision d’État. Sans doute qu’on n’a pas voulu se mettre à dos un de nos pourvoyeurs de légitimité politique, un de nos architectes de pouvoir, quitte à se départir des quelques onces d’orgueil de peuple et de fierté nationale qui nous restent, quitte à dévier de la constante historique de notre diplomatie d’État ayant conquis son indépendance de haute lutte, comme nous l’avons fait récemment dans le cas de la Catalogne pour ne pas déplaire à l’Espagne, un autre de nos bailleurs de fonds, un autre de nos supporteurs de complots électoraux. Il fut un temps, des alliés locaux du gouvernement auraient sans doute reçu « une suggestion non officielle » d’organiser des manifestations pour signifier la grogne du peuple face à de telles vexations, quitte à payer éventuellement le prix d’une telle hardiesse. À cet égard, certains petits peuples dépourvus de tout, même du statut officiel d’État, pourraient aujourd’hui nous donner quelques leçons de courage. Mais aujourd’hui, il est loin le temps où nos gouvernants avaient un semblant de colonne vertébrale. On ne peut pas en vouloir aux vermisseaux d’aujourd’hui de ne savoir que ramper, maladroitement. C’est une question de nature, un état qui transcende leurs comportements et qui caractérise leurs élans naturels.
La déclaration insultante du président américain a provoqué une vague de déclarations d’indignation de la part de personnalités publiques à travers le monde, y compris aux États-Unis même. Toutefois, cela n’a pas semblé être le fruit du travail de la diplomatie haïtienne qui n’a pas joué son rôle de mobilisateur d’appuis internationaux, face au gouvernement américain. Nous avons noté également le silence pleutre de certains grands amis d’Haïti, incapables de s’élever jusqu’à condamner l’indéfendable, lorsqu’il est le fait d’un encombrant allié. Pourtant, ils sont souvent aux premières loges pour condamner vertement les moindres écarts d’autres pays plus faibles, plus fragiles, d’autant plus susceptibles d’être sentenciés, qu’ils le seront également de leur grand ami encombrant. Le sens de la dignité d’un être, est une notion essentielle. On peut difficilement l’acquérir quand le substrat naturel qui devrait permettre aux enseignements offerts de grandir, manque à l’appel. On l’a ou on ne l’a pas. San pa konn sòt nan wòch. Pour maintenant, il convient juste de prendre bonne note, afin de savoir sur qui on peut effectivement compter au besoin, en cas de coups durs.
Si certains élus d’origine haïtienne, dans les instances à l’étranger, ont condamné publiquement cette bourde, d’autres, par contre, ont gardé le profil bas, à cette occasion. Pas un tweet, pas une dénonciation, pas une condamnation. Silence radio ! J’applaudis ceux et celles qui ont quand même bravé la ligne de leur parti et celle des gouvernements dont ils sont membres dans certains cas, aux États-Unis et au Canada, pour s’élever au rang d’objecteur de conscience et pour dénoncer l’indéfendable, même au risque de se mettre à dos les apparatchiks de leur formation politique. Après tout, ils ne peuvent pas être là seulement pour la parure. Après tout, lorsque les intérêts supérieurs et la fierté même de leur communauté sont attaqués, le discrédit et l’opprobre qui en résulteront, rejailliront également sur tous ceux et toutes celles qui étaient là, en avant-scène, et qui n’ont pipé mot, qui se sont défilés. L’histoire les jugera et l’on s’en souviendra.
D’autres élus, sans aucun lien avec Haïti ni avec ses communautés en diaspora, ont élevé la voix pour condamner ces propos offensants du Président des États-Unis, juste au nom de la décence et de la bienséance. Il en est de même de nombreux simples citoyens aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Nous devons leur en savoir grand gré car leur geste est d’autant plus méritoire qu’ils n’ont, pour la plupart, rien à y gagner, aucun profit à en tirer, même parfois quelques avanies à essuyer. Ils le font par principe, au nom de leur humanisme. Et cela me réconcilie un peu avec le genre humain. Peut-être qu’il ne faudrait pas perdre espoir en notre humanité, à cause des élucubrations d’un esprit dérangé, même si son statut particulier le rend d’autant plus dangereux.
Mon défunt père avait de ces phrases lapidaires mais combien justes, à bien y penser. Il disait : « quand on vit avec un chien dans le voisinage, il y a toujours un risque de se faire mordre ou d’attraper ses puces. Mais les plus à risque ne sont pas nécessairement les voisins. Souvent, ce sont les enfants de la maison, voire même le maître du chien, qui en sont les victimes. » Aujourd’hui, les Haïtiens, les Salvadoriens et les Africains sont les cibles du Président américain. Un peu plus tôt, nous étions les seuls visés comme vecteurs de SIDA par le même fantasque personnage. Il n’y a pas longtemps, c’était ses propres compatriotes Afro-Américains qui en faisaient les frais par son appui peu équivoque aux suprémacistes blancs, clivant davantage un pays dont le racisme reste à peine larvé. Son approche incendiaire finira peut-être par mettre le feu dans la poudrière américaine, bien avant celles des petits pays qu’il a dans sa mire. Au demeurant, les ravages qu’il cause à sa diplomatie annoncent déjà la décadence rapide de ce grand pays qui fut, il n’y a pas si longtemps, une inspiration pour la plupart des sociétés qui aspirent à la démocratie.
La sagesse des nations se mesure un peu à l’aune des dirigeants qu’elles se choisissent. Des fois, elles tentent des expériences qui se révèlent heureuses. D’autres fois, celles-ci le sont moins. Toutefois, lorsque contre tous les avis raisonnables, comme ceux du vieux Kirk Douglas qui a bien vu neiger, on met à la tête d’un pays quelqu’un qui, en plus de ne pas en avoir l’étoffe, pourrait aussi avoir une araignée accrochée au plafond, c’est plus que courir un risque, c’est jouer avec le feu. Et comme le veut le dicton : « tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin, elle se brise ». Pour mes amis américains et pour nous autres, citoyens du monde, qui sommes tous, aujourd’hui, exposés à ces risques, que Dieu nous protège des divagations et surtout des actions de ceux qui détiennent notre avenir au bout de leurs doigts. Ils pensent s’amuser avec quelques boutons laissés à leur portée et qu’ils croient plus gros que d’autres. Les conséquences de leurs délires peuvent être incalculables, pour notre malheur à tous, le nôtre comme celui de leurs propres compatriotes.
Pierre-Michel Augustin
le 16 janvier 2018
Le langage défécatoire et humiliant qui a coulé de la bouche de ce personnage est malheureusement un indicateur de l’essence même de l’individu: abjecte.