L’année 2017 fait maintenant partie de l’histoire. Grand bien nous fasse car, à part le fait que le pays a été épargné de la furie des cyclones, nous ne nous sommes pas évités d’autres avanies et la perte de nombreuses personnalités importantes qui pourraient encore apporter leur contribution au développement du pays. Alors, Bonne et Heureuse Année 2018, à toutes et à tous. Nous en aurons besoin pour colmater les brèches, corriger nos carences et tenter de faire mieux cette année ce que nous n’avons pu accomplir l’an dernier. Mais cela n’est possible que si nous sommes pleinement conscients de nos erreurs et que nous nous appliquons à faire mieux, effectivement. En rétrospective, nous avons vu dans la dernière parution de décembre de cet hebdomadaire, un premier bilan de l’administration Moïse-Lafontant. Il coïncide largement avec les appréciations de la plupart des observateurs indépendants du paysage politique, social et économique du pays. Évidemment, ce n’est pas le cas des porte-parole du gouvernement et de certains de ses alliés qui, à travers leurs lunettes roses, ne voient que les bons coups du gouvernement ou ce qu’ils considèrent comme tels. Ils manifestent une foi immuable dans les déclarations de performances du gouvernement.
Le pays va bien, selon cette Évangile, à part certains petits ratés, largement dus aux autres gouvernements précédents, cela va de soi. Mais dans l’ensemble, ça va bien. Cette perception est partagée également par le choeur des membres de la Communauté internationale. Par exemple, Rex Tillerson, Secrétaire d’État des États-Unis, trouve que nous avons faits des progrès énormes, en raison de la tenue des élections et surtout de leurs résultats finals qui sont conformes aux souhaits de son pays. Idem pour l’Élysée qui a pris la peine de mesurer nos progrès dans la production agricole et qui estime que la situation de la sécurité alimentaire au pays s’est améliorée même si, paradoxalement, selon cette même source, nous avons réalisé une production agricole inférieure à l’année précédente (2016) qui, elle, était également inférieure à celle de 2015. Allez comprendre quelque chose à cette évidence de contradiction, mais on n’en est pas à une près. Par exemple, alors que nous célébrons notre 214e anniversaire de déclaration d’indépendance, maladroitement, l’ambassadeur Irwin LaRocque de la CARICOM, «salue Haïti alors qu’il poursuit sa route vers l’autodétermination». Que voulez-vous, les signes sont trompeurs. Alors, au diable les détails tatillons. Mais tout est beau, par ailleurs. La République va bien. Et quand les FAd’H reprendront toutes ses forces et garantira l’inviolabilité de nos frontières, ce sera un comble. Près de 400 millions de dollars d’évasion de douanes par an, retrouveront le chemin du trésor public. Qui dit mieux ?
Mais, dans le contexte de notre démocratie à l’occidentale, surtout selon les paramètres qui sont dévolus aux petits pays de notre genre, et dont nous semblons si bien nous accommoder, il convient également de faire le bilan de l’opposition au cours de l’année 2017, de déterminer les ratés de ce secteur et comment les corriger également Si l’on se fie aux résultats officiels, lors des dernières élections, l’opposition aurait perdu les élections par une marge si importante que cela a permis à nos grands amis, l’option de nous imposer un vainqueur, dès le premier tour. On a ainsi répété l’expérience réalisée avec René Préval en 2008, aux dépens de Leslie Manigat. Là aussi, l’écart était tellement important qu’on pouvait se permettre de trafiquer un peu les données et de tordre les résultats vers un candidat et éviter des contributions additionnelles pour un deuxième tour. Il est clair que la stratégie du secteur dit de l’opposition démocratique, de se présenter en ordre dispersé, était à son désavantage. En 2014, une telle stratégie, même risquée, aurait pu être réaliste, tellement la désillusion de la population envers l’équipe Tèt Kale au pouvoir était grande. Mais en 2016, ce n’était plus de mise. Même qu’elle était n e t t e m e n t contreproductive pour l’opposition et tout à l’avantage du gouvernement PHTK sortant qui n’avait plus le fardeau des résultats à fournir face aux besoins de la population et qui avait passé la patate chaude à un secteur de l’opposition qui avait accepté, de plein gré, le pari de réussir à redresser la barque en un rien de temps.
Les partis de l’opposition, pour ceux qui ont entrepris cet exercice, se sont enfargés dans des programmes politiques, engoncés dans des modèles théoriques de présentation presque totalement impénétrables aux communs des mortels, sans refléter les principales préoccupations de l’électorat. Et quand ils l’ont fait, pour ceux qui ont entrepris l’exercice, les propositions formulées ne correspondaient pas tout à fait aux besoins exprimés par la population ou apparaissaient un peu surréalistes. Par exemple, pour décongestionner le trafic dans la région métropolitaine, la candidate du parti Fanmi Lavalas, Mme Maryse Narcisse, avait mis de l’avant une proposition de téléphérique qui est totalement absent de la réflexion de la population comme alternative aux sempiternels embouteillages sur la route de Carrefour. Le concept n’est pas mauvais en soi, mais le proposer en période électorale, sans avoir préalablement testé la réceptivité de la clientèle à cette approche, relève de l’improvisation et du casse-cou politiques. Cela peut marcher mais le risque d’échec est très grand. Il en était de même du service ferroviaire proposé par Renmen Ayiti sur la route nationale numéro 1, de Port-au-Prince en direction nord. La proposition du PHTK, d’un téléphérique pour aller visiter la Citadelle à partir de Labadie, était passablement moins problématique. De toute façon, c’était une proposition qui s’adressait au secteur touristique, donc pas à la population locale. Pendant ce temps, Moïse Jean- Charles de Pitit Dessalines proposait un sommaire exécutif alambiqué de son programme politique, destiné plutôt à un public universitaire qu’à monsieur et madame tout le monde, alors que Jovenel Moïse volait à ras le sol avec des slogans accrocheurs qui laissent place à l’imaginaire fertile de nos concitoyens. «Tè a, Solèy la, Dlo a, Moun yo».
Il revenait avec des slogans à la Titid d’une autre époque: «Lajan nan poch tout moun, manje sou tab tout moun». Ses souffleurs faisaient définitivement un meilleur travail que ceux des partis de l’opposition qui auraient dû utiliser la somme de frustrations de la population envers l’équipe Tèt Kale récemment au pouvoir pour capitaliser et faire campagne. Personne n’a offert de régulariser la situation des nombreux contractuels du gouvernement dans un délai raisonnable. Personne n’a offert de relever le salaire minimum à un niveau acceptable. Personne ne s’est questionné en campagne sur ce qui est advenu des fonds de PetroCaribe et de l’utilisation qui en a été faite par le gouvernement de Martelly-Lamothe. Juste en exploitant adroitement ces points chauds de la conjoncture, un seul candidat de l’opposition supporté par tous les autres, pourvu qu’il soit assez rassembleur, qu’il soit Maryse Narcisse, Jude Célestin ou Moïse Jean-Charles devrait pouvoir remporter les élections haut la main, à un point tel, qu’aucune magouille n’aurait pu être envisageable. Mais sur ces deux points : l’articulation de leur programme politique et l’unification des partis du secteur dit de l’opposition démocratique, on a raté le coche complètement et cela a donné les résultats que nous avons aujourd’hui. Pour y remédier, ce secteur avait entrepris un premier congrès à l’Arcahaie, en août dernier, dont on ne sait pas grandchose réellement. Un comité de suivi avait pourtant été mis sur pied et des résolutions avaient été adoptées, sans plus. Au demeurant, d’autres sujets brûlants se sont emparés de l’actualité. Le salaire minimum a été décrété par le Président, au grand dam des petits salariés qui se sont un peu plus appauvris en 2017, à en croire l’économiste Kesner Pharel. Il s’en est suivi une levée de boucliers mal articulée qui n’a pas fait reculer le gouvernement.
Il en de même pour le budget 2017-2018, largement décrié par presque la majorité des secteurs de la population et des observateurs politiques et économiques du pays. Il en a été de même pour l’augmentation du prix des produits pétroliers. Dans la foulée, l’opposition mal articulée, a été bulldozée, copieusement arrosée d’eau acidulée et asphyxiée au gaz lacrymogène, avec tous les manifestants qu’elle avait pu entraîner avec elle pour exprimer son désaccord avec les politiques gouvernementales. Il en est de même pour la remobilisation des Forces Armées d’Haïti. Mais le gouvernement ignore tout simplement les mises en garde mêmes de ses supporteurs locaux et étrangers et fonce dans le tas. Il a remobilisé cette institution, sans loi cadre, sans état-major, sans plan directeur. Rien. Des gens protestent mais la Caravane passe, c’est le cas de le dire. Là encore, il convient de mettre en exergue les ratés de l’opposition. On devrait utiliser les outils à sa disposition à bon escient. Nos sénateurs et nos députés, lorsqu’ils se résolvent à prendre le béton et à se mettre à la tête de manifestations de rue, pour certains d’entre eux, ils s’appliquent à faire un coup d’éclat et à reprendre un espace dont ils connaissent bien les paramètres. Toutefois, leur rôle est nettement mieux situé dans l’interpellation du gouvernement pour expliquer ses décisions. Même quand les ministres ne se présentent pas toujours au Parlement et qu’ils sont protégés par la majorité parlementaire qui appuie le gouvernement, le passif de celui-ci augmente au fil des interpellations, devant l’incohérence des réponses et l’inadéquation des résultats par rapport à ceux attendus par la population. Par exemple, les rapports sénatoriaux sur le Fonds PetroCaribe ne resteront peutêtre pas inutiles. Et le fait que le Président lui-même ait déclaré spontanément avoir utilisé des gens à lui pour bloquer le cheminement de ce rapport devant les instances concernées pour que la lumière soit faite sur ce dossier, est très révélateur et est à noter pour utilisation en temps et lieu dans les forums adéquats et pertinents.
Dans le concert des Nations, la République d’Haïti et son gouvernement ont des droits mais aussi des responsabilités. Ils sont redevables devant des instances internationales qui ne pourront pas toujours se réfugier derrière les circonvolutions habituelles de la langue de bois. De même, leurs responsables ne seront pas toujours des supporteurs aveugles du gouvernement actuel, au point d’accepter l’arbitraire ou de participer à des complots pour détourner l’expression de la volonté populaire. Encore faut-il que l’opposition constitue une alternative fiable et raisonnable au gouvernement. Encore faut-il que l’opposition ait une position crédible et l’exprime de façon compréhensible et articulée pour que les partenaires de la République d’Haïti soient susceptibles d’accréditer sa position et d’en tenir compte, en vue de l’appuyer au besoin devant les instances internationales. Il n’est pas normal que le gouvernement ait le monopole des rencontres avec les délégations étrangères, ni que la presse internationale n’offre ses colonnes presqu’exclusivement qu’au gouvernement. Lors des déplacements récents du gouvernement à l’étranger, il n’est pas normal qu’aucun membre de l’opposition n’ait pu effectuer ce voyage d’État pour également donner son point de vue sur la situation politique, sociale et économique du pays. Je soulève cette perspective car je prends en considération que nous nous sommes résolument inscrits dans le cadre d’une démocratie multipartite où l’opposition est une force politique reconnue par l’État et ses partenaires, et est considérée comme une alternative et un contrepoids au gouvernement.
Cela arrive même lors des visites d’officiels étrangers à Cuba par exemple, même si l’opposition est loin de constituer une alternative réaliste, voire même organisée, face à un gouvernement qui s’inscrit résolument dans le cadre d’un système politique de parti unique. À plus forte raison, il devrait être normal que les officiels de gouvernements étrangers et d’institutions internationales aient régulièrement des contacts officiels avec les principaux porte-parole de l’opposition organisée, en préparation pour une alternance démocratique au timon des affaires du pays. Dans cette perspective, l’opposition au gouvernement a du pain sur la planche en 2018 et bien des devoirs à faire. Elle devrait s’organiser par exemple pour avoir une réponse coordonnée au discours du chef du gouvernement ou du Président de la République à la rentrée parlementaire prochaine. Les manifestations de rue ne devraient pas être l’unique moyen pour faire contrepoids au gouvernement. Elles n’en sont qu’un parmi tout un arsenal disponible. Par exemple, tous les discours du chef de l’État ou du chef de gouvernement devraient être systématiquement passés au crible et suivis d’une réponse de l’opposition, susceptible de renseigner la population sur les erreurs du gouvernement à son avis et sur d’autres propositions quant aux réponses à apporter à tels problèmes auxquels la population est confrontée. La convocation des ministres au Parlement pour les confronter par rapport à leurs décisions politiques et à leurs pratiques administratives en est un autre qui ne doit pas être dédaigné. Le gouvernement ne devrait pas être le seul utilisateur de conseillers en marketing politique. À défaut de disposer de fonds pour le faire, l’opposition devrait mettre à contribution, bénévolement, l’expertise de certains de ses membres à cet égard, à l’intérieur du pays, comme en diaspora. C’est en utilisant pleinement tous les outils disponibles, et à bon escient, que l’opposition parviendra à établir un rapport de force avec le gouvernement. C’est en utilisant le levier de la mobilisation populaire par la communication, par la persuasion et par la démonstration d’une meilleure préparation et d’une offre politique et de services mieux adaptée aux besoins de la population que l’opposition parviendra à renverser les forces politiques à son avantage. C’est de cette façon que se construira une opposition forte, crédible et susceptible de faire contrepoids au gouvernement, à n’importe quel gouvernement, et qui pourra éventuellement bénéficier de la confiance de la population pour diriger le pays lors d’élections.
Pierre-Michel Augustin
2 janvier 2018