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Mort de Manno Charlemagne

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Le chanteur et activiste haïtien est mort dimanche des suites d’un cancer à l’âge de 69 ans. Arrêté, torturé, maintes fois exilé, maire de Port-au-Prince à la chute du clan Duvalier, il a toujours fait rimer art et politique.

Les dictateurs, de père en fils, les ton tons macoutes et les accapareurs de tout poil avaient rêvé de le voir disparaître… « L’homme qu’on ne tue pas facilement », comme on surnommait Manno Charlemagne, a finalement été emporté le 10 décembre dernier par la maladie. Un cancer des poumons, qui s’est répandu dans tout son corps en quelques mois, malgré les efforts des médecins de l’hôpital Mount Sinai où il s’est éteint, à Miami. Triste ironie de l’histoire, c’est donc en terre yankee (et lors de la célébration de la journée internationale des droits de l’homme) qu’est tombé ce militant formé à la lecture du fondateur du parti communiste italien Antonio Gramsci ou du dramaturge Maxime Gorki, proche des révolutionnaires bolcheviques. Il voulait finir ses jours à Haïti, sa terre natale, et avait entamé des démarches pour y être transféré, mais son état de santé a finalement rendu la chose impossible. Selon ses proches, le rapatriement de sa dépouille est prévu dans les prochains jours. Beaucoup d’Haïtiens sont sous le choc, tel le poète James Noël, dont certains textes ont été chantés par l’artiste. « Manno Charlemagne est une icône, un mythe chez nous, confie-t-il. Il y a souvent une charge de mystère qui entoure certains mythes nous poussant à croire qu’il n’est pas donné à tous d’atteindre une telle hauteur. Cette hauteur, Manno l’a atteint par sa voix, sa guitare, sa poésie et son engagement politique. Son héritage va au-delà de la chanson, je dis cela sans aucune condescendance visà- vis de la chanson, la preuve Manno utilisait la chanson et la musique comme médium. »

Torturé, exilé, jamais bâillonné Avec la mort de Manno Charlemagne (Joseph Emmanuel Charlemagne de son vrai nom) c’est une longue page de l’histoire musicale et politique de l’île qui se tourne. Né en 1948, il grandit dans le quartier populaire et violent de Carrefour, chez sa tante, sans père et sans mère (partie faire des ménages à Miami). A 20 ans, lorsque le chanteur et guitariste forme le groupe Les Remarquables, puis Les Trouvères, plus influencé par la musique populaire folk, il a déjà connu la torture et la prison sous la dictature sanglante de François Duvalier. Ses chansons se font de plus en plus engagées
tandis que d’autres artistes du mouvement « kilti libèté » (« culture liberté ») commencent à émerger. Dans les rues, dans les soirées privées des quartiers bourgeois, le duo Manno et Marco (avec Marco Jeanty) chante la révolte en catimini, avec des textes remplis de métaphores… qui ne trompent personne. Leur premier album, sorti en 1978, et diffusé à Radio Haïti-Inter, connaît un succès fulgurant. Devenu le meilleur ennemi du régime, il doit à présent fuir les sbires de « Bébé Doc », Jean-Claude Duvalier, qui a pris la place de « Papa ». En exil, il enregistre Konviksyon (1982) et Fini les colonies ! (1984), qui circulent clandestinement dans le pays et ponctuent les manifestations antirégime. De retour au pays après la chute du despote, en 1986, il est surpris par sa popularité. Dans ses concerts, bondés, les foules reprennent en choeur ses chansons. Jenny Mezile, chorégraphe d’origine haïtienne aujourd’hui installée à Abidjan était sa voisine dans le quartier de Carrefour. Elle se souvient de lui passant à pied devant chez elle (« il n’a jamais eu de voiture ») , avec sa guitare, et de la ferveur qui entourait l’artiste. « On guettait les sorties d’album de Manno, et on partait dans ses concerts si rares préparés à l’idée de ne pas revenir car tout était possible, une attaque de tontons macoutes, par exemple. »

Pris pour cible De fait, la junte au pouvoir continue d’écraser toute opposition. En 1987, alors qu’il veut rendre hommage à des manifestants assassinés, il essuie des coups de feu et est très grièvement blessé. Cela ne changera rien à sa détermination. En 1988, dans « Ayiti pa forè » (« Y a plus de jungle en Haïti »), il chante crânement : « Vous croyez me faire peur / parce que vous êtes des macoutes / vous croyez pouvoir m’effrayer / quand vous sortez votre Uzi / moi je reste relax. » Soutien du candidat Jean-Bertrand Aristide, il est à nouveau pris pour cible. Arrêté, relâché, exilé… petite rengaine connue qui n’use toujours pas son engagement. De retour en 1994 à Haïti, il devient maire de Port-au-Prince l’année suivante, faisant pour toute campagne un concert deux jours avant les élections ! Mais quand il quitte la mairie, en 1999, il ne laisse pas que des bons souvenirs. L’intransigeant s’est fâché avec à peu près tout le monde : Aristide, la police, les autres élus, ses adjoints… et surtout il n’a plus la confiance du peuple.

Étoile pâlie
Installé par la suite définitivement à Miami, Manno n’a jamais cessé de chanter, seul ou avec son ancien complice Marco, souvent au Tap-Tap restaurant de Miami Beach, et il y a peu encore sur les scènes internationales. Un beau livre récent écrit et dessiné par Nicole Augereau, qui a rendu visite au « twoubadou » à convictions, évoque sa retraite active (Quand viennent les bêtes sauvages, éditions FLBLB). Mais l’artiste manquait d’inspiration, son étoile avait « pâli » selon James Noël. « Après son passage en tant que maire de Port-Au-Prince, suivi de la perdition du mouvement l’avalasse, Manno ne composait plus, remarque le poète. Le musicien révolutionnaire et l’artiste le plus engagé de notre histoire était comme désaccordé. Il se contentait de chanter ses tubes, toutes ses chansons sont des classiques. Musicalement, il s’est tu depuis longtemps. Ceux qui l’ont côtoyé de près comme moi, savent qu’il gardait la fougue d’un rebelle à plein temps, dont les désillusions ont laissé sans voix devant le corps nu de sa guitare. » Pour Jenny Mezile, l’impact de cet éveilleur de conscience est énorme et va bien au-delà de ses années actives à Haïti. « Avec sa guitare sèche, sa voix puissante et ses mots fouettant à grand coups les non-rebelles, il nous a donné la force de désobéir au régime des Duvalier et à toute autre forme d’oppression. » Sans voix, Manno Charlemagne continue de montrer la voie.

13 décembre 2017
Léo Pajon
http://www.jeuneafrique.com

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