C’est déjà la fin de 2017, une année marquée par le retour du PHTK au pouvoir, après un court intermède de 12 mois de transition avec l’administration Privert/Jean-Charles. Que de bouleversements sociaux, que de tractations de coulisse, pour, au final, revenir à la case départ ! Mais le peuple a parlé, si tant est qu’il se soit effectivement exprimé. Avec quelque 18 % de l’électorat ayant pris part aux élections, Jovenel Moïse aura remporté « haut les mains, » et ce, dès le premier tour, ne dit-on pas, les présidentielles de 2016. Les absents ont toujours eu tort, cette fois-ci plus que jamais. Comme d’habitude, à cette période de l’année, il convient de jeter un coup d’oeil sur ce que nous avons accompli en tant que société et de mesurer le chemin qu’il nous reste à parcourir. Hélas, il est loin, très loin de nous, cet horizon rieur où nous récolterions en abondance les fruits des changements pour le mieux que nous souhaitions opérer dans notre société. Il est loin, très loin de nous, même qu’il s’éloigne un peu plus chaque jour, il me semble. Pour un coup d’oeil objectif sur les résultats obtenus, je nous propose d’y aller en prenant quelques secteurs importants de la vie nationale et de tenter de l’évaluer sans trop de biais.
La paix sociale
Cette atmosphère de tranquillité, indispensable pour attirer les investisseurs locaux et étrangers, pour redémarrer l’économie, on nous l’avait garantie avec la tenue des élections honnêtes, inclusives et démocratiques. On s’était battu dans les rues et dans les médias pour cela. On avait envoyé à la casse l’autre Comité Électoral Provisoire (CEP) pour le remplacer par un autre censé être plus crédible. On a même bravé la désapprobation et le courroux de nos amis de la Communauté internationale qui nous les a signifiés explicitement, en nous retirant leur appui financier pour la tenue de ces joutes, nous exigeant même de rembourser les soldes de leur soutien antérieur à cette grande messe de la démocratie locale. Eh bien, la paix sociale que nous avions tant cherchée se fait toujours un mirage comme l’oasis pour le voyageur égaré dans le désert. Les manifestations de rues continuent contre les résultats de cette élection, contre le premier budget de ce gouvernement, contre le salaire minimum fixé à 350 gourdes, contre la corruption qui sévit dans nos institutions publiques, contre le non-paiement des arriérés de salaires dus à des fonctionnaires de l’État et j’en passe… Premier constat : rien n’a changé à cet égard.
La sécurité publique
On avait imputé à l’insécurité dans nos villes, l’action de brigands, de bandits de grand chemin, enhardis dans leurs crimes par la fragilité des pouvoirs publics et des institutions représentant l’autorité de l’État. Ainsi, on n’avait pas à démontrer la relation de causalité associée au pouvoir transitoire, dépourvue de reconnaissance publique et de crédibilité auprès des citoyens et de citoyennes, de même qu’auprès des représentants des États étrangers et des institutions internationales. On s’était évertué à en faire une évidence, hors de toute démonstration probante. L’on se souvient des remontrances publiques des représentants de pays étrangers et des institutions internationales, admonestant les représentants du gouvernement provisoire parce que ceux-ci avaient pris un retard de quelques mois sur la réalisation des élections qu’il fallait réaliser coûte que coûte, sans délai, pour que l’aura de la démocratie représentative retrouvée, puisse enfin enclencher le feu vert au déblocage de tous les fonds en suspens qui viendraient faire démarrer le pays et irriguer notre économie exsangue. La tenue des élections, c’était le «Sésame ouvretoi » qui devait faire pleuvoir la manne des bienfaiteurs sur notre pays et sur les «Ali Baba» de tout acabit qui attendaient impatiemment au détour, en pavillon masqué. Depuis l’avènement de ce gouvernement réputé élu régulièrement et officiellement oint par la Communauté internationale, l’insécurité publique n’a pourtant pas diminué. En plus des bandits de grand chemin, des éléments de la Police nationale accumulent également aujourd’hui des dérives, laissant sur le carreau, des cadavres de citoyens paisibles, que ce soit à Martissant ou ailleurs dans le grand Port-au-Prince métropolitain. De paisibles citoyens, vacant à leurs occupations, se font abattre en plein jour devant des banques de la capitale. Certains de ces bandits ne sont autres que des policiers qui font un « sideline » criminel, à temps perdu. D’autres policiers en service abattent à bout portant des paisibles citoyens, en représailles contre des actions de vrais bandits auxquels ils n’ont pas pu tenir tête, car armés eux aussi et en mesure de riposter et de semer le deuil dans leur rang. Dans notre langue savoureuse, on réfèrerait cette situation au rapport entre la dent cariée et la banane mûre. (Encore une autre histoire de banane. Décidément…) Les chiffres parlent d’eux-mêmes, l’insécurité publique est encore une préoccupation majeure, pour les locaux comme pour les ambassades étrangères qui recommandent à leurs citoyens de ne se rendre au pays qu’en cas de stricte nécessité. Sur cet aspect également, il n’y a donc pas eu de progrès. La misère et le coût de la vie.
Quelques mois après le passage de l’ouragan Matthew sur Haïti, en octobre 2016, une grande partie de la population (2, 7 millions de personnes) était tombée en situation critique d’insécurité alimentaire. Un an après, il n’y a pas eu de miracle. Les institutions internationales sont à pied d’oeuvre pour pallier aux carences du gouvernement quant à sa capacité de répondre adéquatement aux besoins essentiels de plus de 3,6 millions de personnes en insécurité alimentaire sévère. La Caravane du Changement est bien passée dans quelques départements du pays et a remplacé, à certains égards, les ministères de l’Agriculture et de Travaux publics. Le gouvernement a bien décrété l’état d’urgence, neuf mois après le cyclone. Toutefois, les résultats, dans l’immédiat, ne sont pas encore évidents. On en saura plus dans six mois, quand les données sur l’exercice 2017 commenceront à poindre. Et ce n’est pas la faible augmentation du salaire minimum qui va y changer grand-chose, avec environ 50 gourdes de plus par jour, soit l’équivalent de 16,66% d’augmentation du salaire minimum par rapport au plancher décrété pour l’année précédente, alors que l’indice des prix à la consommation, strictement pour les produits locaux, selon les données publiées par l’IHSI, était établi à 15% en glissement annuel, en octobre 2017. Le pouvoir d’achat des ménages à revenus modestes et faibles, risque même de s’aggraver, si l’on tient compte des taxes à la consommation et autres augmentations de frais décrétées dans le budget 2017-2018 de l’actuel gouvernement. Il est peut-être un peu trop tôt pour évaluer objectivement ce secteur, faute de données à cet égard.
Fonctionnement des institutions de l’État Pour l’Exécutif, ce n’est guère mieux. Le gouvernement a perdu un ministre dans un scandale relié à la surfacturation de kits scolaires. Le Ministère des Affaires sociales, depuis l’automne dernier, est géré provisoirement par un titulaire qui a déjà la responsabilité d’un autre ministère. Il est de plus en plus évident que le gouvernement actuel se dirige vers des modifications importantes, voire même le renvoi pur et simple d’un Premier Ministre totalement effacé qui a l’air d’une marionnette aux mains d’un Président omniprésent et omniscient. En effet, ce dernier serait à la fois un expert en énergie électrique, en agriculture, en économie et serait, en même temps, un chevalier sans peur et sans reproche qui, à lui tout seul, combattrait la corruption, ce cancer qui ronge et dévaste le pays. «Grenn pa bat, se kolonn ki bat,» nous le savons bien pourtant. Le bon fonctionnement de l’appareil de l’État et la lutte contre la corruption passent par un travail institutionnel en tandem. Ce n’est jamais l’affaire d’un seul homme, tout dévoué et expert qu’il puisse être.
Le Pouvoir judiciaire était déjà affligé d’un problème au sommet avec un président de la Cour de Cassation, Me Jules Cantave, qui ne respecte plus les exigences de la loi concernant son poste, ceci est de notoriété publique. En plus, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) a recommandé en novembre dernier la révocation purement et simplement de sept (7) juges, après un premier rapport d’un processus de vetting en cours, «pour fautes administratives graves» dans l’exercice de leur mandat de délivrer la justice. L’épuration devrait se poursuivre, et nul ne sait ce qu’il adviendra des magistrats siégeant dans nos tribunaux, une fois ce vetting terminé. D’ailleurs, le Président lui-même n’a-t-il pas reconnu avoir nommé des juges corrompus au sein de l’appareil judiciaire, lui qui est pourtant censé être le garant de la bonne marche de nos institutions ? Sur ce dossier, le consensus est fait. Il n’y a aucun progrès, et le Président, si je me fie aux propos qu’on lui prête sur Radio One, en France, lors de son récent voyage en Europe, n’a rien fait pour améliorer la situation. Même qu’il l’a empirée en nommant délibérément des juges qu’il sait être corrompus. Je ne m’attarderai pas à sa reconnaissance publique, semble-til, d’avoir sciemment tenté et réussi à faire traîner des dossiers judiciaires en nommant des personnes qui lui sont fidèles et en leur demandant de bloquer la chaine judiciaire et administrative. Si tel était effectivement le cas, ce serait extrêmement grave et le Président devrait être immédiatement déféré devant la Haute Cour de Justice, pour entrave à la justice. En tout cas, c’est ce qui arriverait normalement dans un État de droit. Ne nous méprenons pas, le monde nous a à l’oeil et au moment opportun, on saura interpeller les instances haïtiennes à l’ordre.
Au pouvoir législatif, après que l’administration Privert-Jean-Charles se fut démenée pour y ramener un peu d’ordre, en complétant les élections pour les députés et les sénateurs, voilà que les mêmes retards électoraux se profilent à l’horizon. Le premier sénateur élu de la Grand-Anse, issu des dernières élections, Guy Philippe, est aujourd’hui bien au chaud dans une prison de la Floride aux États-Unis depuis janvier dernier, sous une condamnation afflictive. Depuis lors, aucune démarche n’a été entreprise pour combler cette vacance au Sénat. Pire encore, une polémique bat son plein quant à l’échéance des prochaines élections parlementaires pour remplacer un tiers du sénat dont le mandat arrivera bientôt à échéance. Quand ? On ne le sait pas encore. Le président du Sénat a sa propre idée sur la question. Le président de la République également. Toutefois, ils ne sont pas sur la même longueur d’onde. Quant au CEP, il est en transmutation. Au terme de sa gestation longue et douloureuse, il deviendra un CEP permanent, cette fois. Alors, pour le moment, nul membre de ce CEP provisoire, surtout pas son actuel président, candidat au nouveau CEP permanent, ne prendra une initiative dans ce débat, de peur de s’aliéner quelques voix qui pourraient accorder un vote crucial pour continuer à siéger sur l’autre CEP en devenir. Si on n’y prend pas garde, il ne faudrait pas se surprendre de retomber dans la même situation de vide ou de dysfonctionnement du Parlement, d’ici à la fin de 2018 ou de 2019, c’est selon l’appréciation des mandats de nos sénateurs qui prévaudra.
La Police Nationale d’Haïti aurait subi des assauts de l’Exécutif visant à la vassaliser et le mandat de son Directeur général ne tiendrait plus qu’à un fil. Les virus qui ont finalement emporté la FAd’H, celui de la dissension interne et celui de l’indiscipline, semblent menacer ce corps également. Ce serait le bouquet. Ce n’est pas la nouvelle Armée d’Haïti forte de 150 membres qui assurerait alors la relève, au pied levé. En attendant, l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF), la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA), l’Unité de lutte contre la Corruption (ULCC) seraient passées directement sous la coupe de l’Exécutif, bien qu’elles soient réputées être des organismes indépendants des trois pouvoirs. Pourtant, c’est seulement ce statut qui leur permettrait de mener, en toute indépendance, des enquêtes susceptibles de viser des fonctionnaires et des membres du gouvernement, à tous les niveaux. À leur tête, récemment on a procédé à des nominations qui soulèvent de nombreuses interrogations quant à leur pertinence et surtout à l’allégeance des nouveaux venus à l’égard du pouvoir exécutif actuel auquel ils doivent leur nomination. Donc, tout bien considéré, les grandes institutions de l’État ne fonctionnent pas très bien, peu s’en faut. Quelques étoiles au carnet annuel.
Une note positive à cette date, dans le cadre de ce bilan sommaire de la première année de cette administration, doit être accordée à la stabilité de la devise nationale par rapport au dollar américain. La gourde a stoppé sa dégringolade entamée depuis 2014, passant en trois ans, d’environ 44,50 gourdes pour 1 dollar U.S à environ 67 gourdes pour 1 dollar U.S en février 2017. Depuis, lors, elle a progressivement regagné 3 gourdes, passant à 64 gourdes environ pour 1 dollar U.S. Pour le moment, il faut applaudir la stratégie de Banque de la République d’Haïti (BRH) d’injecter quelque 120 millions de dollars U.S dans l’économie haïtienne et saluer le maintien, par l’actuelle administration, de la politique de Cash Management courageusement mise en oeuvre par le gouvernement provisoire Privert-Jean-Charles. Il semble bien que cela finalement rapporte les résultats escomptés : stabilité de la gourde et regain d’un peu de terrain de la devise nationale par rapport à la débâcle de notre monnaie, enregistrée sous les gouvernements de Martelly-Lamothe et Martelly-Paul. On ne peut pas passer sous silence que les ouragans majeurs, qui ont ravagé les Caraïbes, ont épargné notre pays, cette année. Grand bien nous fasse et qu’il en soit ainsi au cours de nombreuses autres années à venir. Ces monstres ont le potentiel d’effacer, en un rien de temps, ce que nous avons passé des années à entreprendre de corriger laborieusement. Encore qu’on ne s’y prend pas toujours de la bonne façon. Mais pour ces répits, personne n’a aucun mérite. Seule Dame Nature décide de ces aléas. Nous n’avons qu’à bien nous prémunir de ses soubresauts, et je ne suis pas sûr que tel est notre cas aujourd’hui encore.
Pierre-Michel Augustin
le 19 décembre 2017